Être unique
Tu le regardes aller et ça te pique le coeur. Le sol s'ouvre sous tes pas et tes repères font des cabrioles dans tous les sens. C'est plus fort que toi, complètement irrationnel, et tu le sais. T'as la gorge sèche, les poings serrés, la colère qui gronde en dedans. Ton réflexe c'est de faire la gueule à ceux qui t'entourent. Il n'a rien fait pourtant. Simplement, s'est-il arrêté quelques instants pour parler à cette femme tout droit sortie d'un passé que tu aimerais oblitérer. Tu te tances pourtant. Tu sais que sans elle il ne serait pas celui que tu as rencontré. Tu sais que sans elle, il serait différent et que sans doute tu n'en serais pas amoureuse. Il est à quelques pas de toi à lui sourire. Sorcière à tes yeux dans sa beauté infinie. Détentrice du pouvoir d'un amour révolu. Et toi t'es toute seule, parmi tes amis à douter. Tu ne les écoutes plus, focussée entièrement sur les yeux de la belle. Tu épie chaque geste, chaque sourire. Tu te tords les tripes à te demander ce qu'elle avait que tu n'as pas, toi.
Lorsqu'il revient s'asseoir avec toi. Tu fais semblant d'être en grande discussion avec tous ces autres qui vous accompagnent. Pour faire comme si ce n'était pas grave. Pour faire comme si la maudite jalousie, cette inquiétude qui te mine, n'avait pas de prise sur toi. Chasser le doute, les questions, l'insécurité en les ignorant. Cependant personne n'est dupe. Ni toi, ni lui, ni ceux qui t'aiment et qui t'ont observé te consumer jusqu'à la moelle, dans la verdeur de ton regard. Il prend doucement un boucle dans tes cheveux emmêlés et la tiens doucement entre ses doigts, une étoffe soyeuse à lui seul réservée. Sauf que ce n'est pas le signe que tu remarques, il n'a pas d'importance. Pas de prise. Tout ce que tu sais, c'est qu'elle est belle, plus belle que toi, évidemment. Tout ce que tu vois c'est qu'elle est intelligente, drôle et séduisante. Par dessus tout, tu vois qu'il a tant de plaisir à la recroiser. Désormais, dans cette vaste salle, il y a un écran de brume qui vous désunit. C'est fini, déjà. Tu le sais, c'est fini, ça ne peut pas être autrement. L'amour de toute une vie, sur le même plancher que toi, tu ne peux pas te battre contre ça.
Il te murmure à l'oreille : « T'es la plus belle fille ici ce soir, tandis que sa voix se casse sur ses plus bas octave avant d'ajouter, je t'aime ». Tu ne le crois pas. Tu sais que c'est juste pour la frime. Comment pourrais-t-on t'aimer toi après elle? Impossible. Lui, évidemment, ne sent pas à quel point tu te tortures. Alors il se lève et te quitte pour aller faire une partie de billard. Et tes amis te secouent. Ils te font remarquer que depuis tous ces mois, c'est toi, et toi seule qu'il a choisie. Qu'il n'a donné aucun signe de reddition, malgré tes coups de gueule, malgré tes enfantillages, malgré la bête féroce qui t'habite et te détruit encore plus sûrement qu'elle ne détruit tes relations de couple. Tu n'as pas ce passé bien rempli d'amours mortes se muant en amitiés qui, sans être fréquentes, sont à tout le moins présentes. T'as toujours dit que ton passé t'en voulais pas et tu l'as régulièrement foutu à la porte de ta vie. Faire table rase de ce qui est négatif et rejeter avant de te faire jeter.
À la table de billard, que tu vois bien, il y a cette pulpeuse jeune femme qui a un talent fou pour faire rire ses partenaires. Légère, spirituelle et engageante. Tu te sens en danger parce qu'il y a dans la même pièce, le passé et l'avenir et que tu n'es qu'un présent qui n'a pas de durée. C'est ce que tu dis. Parce que toi... Ben toi, t'es seulement toi. Pas tout à fait belle mais pas tout à fait laide non plus. Pas tout à fait drôle, mais pas tout à fait plate. Pas tout à fait brillante, mais pas tout à fait terne. Rien que bien ordinaire. Rien d'autre qu'ordinaire. Tandis que lui, à tes yeux, il est une perle. Quelqu'un que tu aimes avec toutes tes fibres, même s'il est con parfois, même s'il te délaisse tous les samedis soirs pour son sacro-saint hockey. Et tu ne peux pas croire qu'il te voit exactement de la même manière que tu le perçois. Tu n'arrives pas à croire que chaque amour est unique et que t'es en soi, une belle unicité.
Libellés : Sur la frontière du réel
*bullseye*
Excellente description des ravages de la jalousie. Une question d'estime de soi. Bien écrit!
Faut apprendre à se faire confiance et à faire confiance à l'autre. C'est pas toujours facile. Un texte magnifique.
La souris : Hep (avec le haussement d'épaules approprié)
Femme Libre : Je crois que la jalousie est davantage une question de perspective de soi que d'estime de soi.
Mlle V : Je reviens à ce que je disais plus haut, à mon avis tout est une question de perspective de soi. Je crois qu'on peu lâcher prise sur la jalousie lorsqu'on a commencer à croire vraiment que ce qu'on a à apporter à une personne est profondément unique. Par conséquent il n'y a pas de compétition possible. Ni de jalousie.
Si on se compare, il y en aura toujours des plus belles et des plus intelligentes autour de soi. Il ne faut pas tomber dans ce piège qui fait rarement du bien à l'égo... Je suis donc en accord avec toi: vivement la foi en l'unicité!
Vertelime : Je crois profondément que la seule personne à qui on puisse se comparer c'est soi-même, sinon, c'est trop inéquitable.
Merci de ton commentaire et bienvenue sur mes chemins.
Très beau portrait de la jalousie.
D'accord avec toi sur l'unicité. Mais quid de l'unicité sans confiance en soit ?