mercredi, février 28, 2007

Les aléas du transport en commun

Depuis que la neige étend ses draps blancs sur la parcelle de terre qui me voit vivre, je prends l'autobus matin et soir pour aller au travail. L'été je me sert de mon destrier à pédales, mais l'hiver, lorsque la nuit tombe plus vite que les ombres ne s'allongent, je n'ai pas le courage de déambuler à pied à travers les bancs de neige et de slush qui ornent les trottoirs. Je suis une grande paresseuse, la simple idée d'avoir à marcher pendant près d'une heure sous les regards givrés des fenêtres éclairées me décourage. Faute de mieux, j'utilise le transport en commun. Ce qui me donne l'occasion d'observer à loisir les quidams qui font comme moi. Et je m'amuse beaucoup à tendre une oreille indiscrète pour saisir des bribes de conversations. Il y a des moments durant lesquels je me sens vraiment invasive de la vie privée d'autrui. Et je ris sous cape, en relisant cent fois la même ligne du livre qui me tient lieu de bouclier.

« Tu as vraiment l'air fatigué », disait une jeune fille à un grand gaillard aux attitudes suffisantes.

« Oui, qu'il lui a répondu, je suis fourbu. Tu comprends, je n'ai pas beaucoup dormi la nuit dernière. J'ai été écouter le match de Hockey chez Jason et ensuite je suis allé rejoindre ma blonde. Mais on a pas vraiment dormi, tu vois. Je lui ai fait des choses... »

La dernière portion de la phrase était pleine de sous-entendu. Et franchement, cette fois j'aurais mieux aimer pouvoir boucher mes conduits auditifs, mais ils étaient tout deux debout exactement à côté de mon banc et la discussion se passait au dessus de ma tête. Mon lecteur cd était mort quelques minutes auparavant et je n'avais pas de pile de rechange. Alors, j'essayais de me concentrer sur les aventures fantastiques que les mots du livre ouvert sous mes yeux me murmuraient. Cependant, je n'arrivais pas à atteindre un niveau de concentration suffisant. Pas assez en tout cas, pour faire taire la conversation qui se poursuivait au dessus de mes oreilles indiscrètes.

Et le gaillard, de continuer sa description détaillée de choses qu'il savait faire à une fille. Tandis que la demoiselle à ses côtés buvait ses paroles comme un nectar sucré. Il avait un air de paon, qui déploie son plumage pour se faire valoir. Distillant les détails de ses aventures sexuelles comme autant de poudre aux yeux pour éblouir son interlocutrice. Cette histoire que j'entendais, bien malgré moi, je n'y croyais pas. Il y avait quelque chose de trop, de factice. On aurait dit un discours tout droit sorti des romans féminins que j'affectionne. Mais sous sa verve je voyais la prédation dans sa plus pure expression. Et la demoiselle, aux grands yeux de biches innocents, n'y voyait que le feu qu'il disposait savamment devant elle.

J'avais tellement envie de poser des questions. D'investiguer pour savoir jusqu'à quel point ses talents d'amant étaient réels. Difficile de le faire quand on est pas supposer entendre ce qui se passe au dessus de notre tête. Sauf que c'était un peu exhibitionniste de raconter ce genre d'histoire dans un autobus bondé de gens seuls et perdus dans leurs pensées. Surtout que mon Don Juan parlait d'une voix de stentor. Je cachait mes sourires derrière mon foulard, pour ne pas qu'ils s'aperçoive que j'avais une furieuse envie de me payer sa gueule. Par contre, je crois qu'il ne me voyait vraiment pas, tout pris qu'il était dans son entreprise de séduction.

Ils sont descendus quelques arrêts avant moi. J'ai eu l'air d'une vrai nouille en riant toute seule pendant le reste du trajet, me remémorant les arguments forts de sa démonstration de virilité. Et je me suis dit que franchement, je dois être une femme difficile à séduire parce que s'il y a quelque chose qui ne m'allume pas, c'est un gars qui parle très fort de ses exploits dans un endroit public, comme pour prendre le reste du monde à témoin.

Je préfère de loin la discrétions des chambres closes ou les gestes deviennent les mots les plus probants.

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5 Commentaires:

Blogger Rosie s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Wow! quelle conversation.

Je te comprends, moi, je me serais tordue de rire que j'aurais été obligée de descendre de l'autobus.

Cela a du faire ta journée.

@ plus

1:48 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Tout comme Rosie, et tu le sais, je pense que je serais partie à rire, mais dans sa face. Après tout, pourquoi se gêner... tu ne les reverras jamais!

8:52 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Rosie : Pas mal oui. J'avais vraiment l'air de n'importe quoi en riant toute seule pour le reste du trajet.

Alex : Mais si j'avais ri dans sa face, il aurait immédiatement arrêté de me divertir! J'aurais vraiment été perdante.

10:25 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

C'est en effet très cocasse comme conversation ! Quand j'habitais Paris et prenais le métro, j'en entendais des sévères... C'est pratique, je confirme, d'avoir un foulard pour rire cachée.
Un p'tit mot sur le reste des posts : belle plume !

12:11 p.m.  
Blogger La Dame du Lac s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Wow! Ils sont intenses les gens qui prennent l'autobus dans ton coin, Mamathi!! o_o
J'aurais eu bien du mal à garder mon sérieux aussi...

2:02 p.m.  

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