vendredi, février 23, 2007

Le jardin d'hiver

Voici mon texte de la semaine pour le Coitus.

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Je n'ai jamais eu le pouce vert. Lorsque je devais m'occuper des plantes de ma mère, lorsque venait mon tour d'ajouter à mes tâches ménagères l'entretien de la verdure environnante, je râlais. Je n'ai jamais compris comment ma mère faisait pour passer toutes ces heures à genoux dans le potager à dorloter les pousses qui égayaient le paysage. J'ai brûlé une quantité assez effarante de buissons, bosquets, fleurs et autres amis maternels à force de les arroser en plein soleil. J'ai laissé mourir de sécheresse la grande majorité des plantes en pots que ma mère finissait toujours par récupérer par je ne sais trop quel miracle. Je crois que c'était symptomatique de ma volonté d'être le centre de l'attention et non la personne qui en prodiguait. Pourtant, j'ai toujours trouvé les grands jardins très jolis, mais personnellement, j'aurais préféré vivre dans un monde qui m'aurait permis d'employer un jardinier qui entretiendrait pour moi la beauté du monde.

Dans mon environnement, les seules touches de verdures sont celles des parcelles de parcs qui tachent le béton des villes où j'ai habité. Je les vois bien, d'un oeil distrait, mais je n'y porte pas une particulière attention. Je ne connais pas le nom des fleurs ni des plantes qui poussent à Montréal. En fait, je m'en fou. Mon jardin est fait de béton et d'escaliers en colimaçon. C'est sur les dalles que j'évolue et que je me sens à l'aise. Je suis une petite personne profondément urbaine. Les grands espaces ne m'émeuvent plus. Les beautés sauvages me laissent de marbre. Mais je peux passer des heures à sillonner les rues des villes pour regarder les façades des demeures qui y trônent nonchalamment. Glisser mon regard sous les tentures des rideaux, pour épier les humanités qui s'agitent aux fenêtres. Attraper au vol quelques notes échappées d'une croisée ouverte et m'imaginer la personnalité de ceux qui se laissent bercer par de telles mélodies. Je suis une voyeuse. Espionne sans complexe de la vie de mes semblables.

Dans mon pays aux saisons changeantes, il existe un moment hors du temps. Lorsque la neige s'amoncelle en quantité dans les nuits d'hiver. Sous les lumières blafardes des lampadaires, les flocons dansent une valse mesurée par les élans des brises nocturnes. Sans crier gare, la cours des horloges s'arrête et le silence devient total. Même les moteurs des véhicules qui traversent les bancs de neige se font discret. Étouffés par le manteau blanc qui drape les rues. Et les arbres ploient sous le poids inhabituel des flocons se transformant en voûtes somptueuses; du cristal brut taquiné par les gyrophares des chasses-neige. Durant ces nuits immobiles, j'apprécie les longues marches dans les rues inanimées. Elles exacerbent mon sentiment de solitude dans un endroit où normalement se croisent des millions d'âmes, au mètre carré. J'ai alors l'impression que je possède un peu le territoire que j'habite. Et je me raconte des histoires d'amour en regardant les étoiles tomber du ciel.

Le bruit étouffé de mes pas fait ressurgir dans ma mémoire des bouts de phrases épars sortis de moments auxquels je n'ai pas tellement porté attention. « Bonsoir, Belle Dame » m'a-t-on susurré juste avant que le ciel ne se mette à paralyser les rues. Un éclair de lucidité comme un baume sur mes complexe. «Bonsoir» murmuré comme une promesse d'avenir. Et dans le cocon brillant de mon jardin d'hiver, je me sens reine de séant. Alors seulement, je commence à me dire que je pourrais répondre de temps à autres à ces compliments qui m'émeuvent. Et je réalise que je pourrais faire autre chose que d'ignorer qu'on s'intéresse à moi.

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4 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Sincèrement, c'est un de tes meilleurs textes. Je ne saurais dire pourquoi.

2:35 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Comment ai-je pu m'éloigner du chemin menant à tes mots ? Je ne saurais le dire et j'ai honte.

La fin de ton texte me touche particulièrement. Je pourrai la transposer à mes déambulations en ville ou dans quelques jardins.

Merci pour cela, Mamathilde.

6:58 a.m.  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

La chute... LA chute!!

11:18 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Mes homages Reine blanche je dois vous avouer que c'est l'un des plus beau texte que vous ayez écris douce Reine des mots (ou des maux ??)
bravo
et bise de ta "cousine du vieux continant !!!"

7:04 a.m.  

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