dimanche, janvier 28, 2007

La conjecture du fou

Ceci est ma participation de la semaine au Coitus. Le thème était La conjecture du fou. Je l'ai suivie.

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Je connais Frédéric depuis qu'il est né, ou presque. Il avait quatre mois lorsque j'ai commencé à le garder. Moi, j'avais onze ans. Même à ce très jeune âge, il me faisait la fête lorsque j'arrivais, multipliant les sourires et les fossettes, rien que pour moi. J'étais pour lui une adulte rassurante. Quelquefois, son père m'appelait en renfort pour savoir quels étaient mes trucs pour passer ses coliques ou autres larmes incompréhensibles. La Saint-Valentin était devenue une tradition entre lui et moi. Ses parents, toujours amoureux s'échappaient à chaque année pour nous laisser seuls. Il est bien le seul homme qui ai été mon Valentin durant plusieurs années. D'ailleurs, la première fois où je lui ai fait faut bond, il était furieux contre moi. Mais ses six ans très mignons ne faisaient pas le poids face à ma vie de femme qui s'ouvrait devant moi.

Lorsque sa mère est morte, d'un cancer foudroyant, il avait huit ans. Je crois que le père et l'enfant se sont naturellement tournés vers moi parce que j'étais une présence féminine récurrente dans leur vie depuis la naissance de l'enfant, ou presque. J'aidais donc Pierre avec son fils, encore davantage que dans le passé puisque la monoparentalité lui était tombée dessus sans crier gare et qu'il n'y était pas du tout préparé. Et puis, il était si triste de la perte de sa compagne que je craignais les conséquences pour la santé mentale du petit. Malgré tout, Freddie s'en sortait plutôt bien. Entre son père et moi, il avait trouvé un équilibre acceptable. C'était un garçon épatant, par sa vivacité d'esprit et sa chaleur humaine.

Lorsqu'il est entré à l'école secondaire, nous avons eu des discussions sans fin sur la place qu'il devait prendre et celle qu'il pouvait prendre. Je me retrouvais, à vingt ans à peine, prise dans des considérations un peu trop adultes pour moi, mais j'acceptais de jouer le rôle parce que j'aimais profondément cet enfant. C'est à peu près à cet époque que Pierre s'est trouvé une autre compagne de vie. Et pour la première fois depuis que je connaissais Frédéric, j'ai senti que son équilibre était plus précaire que ce qu'il avait toujours laisser présager. Mais l'adolescence pesait aussi dans la balance de ses débordements et de ses renfermements. Sa belle mère était une femme extraordinaire, mais Frédéric persistait à la rejeter. Elle pleurait souvent les méchancetés qu'il lui assenait, tandis que Pierre tentait tant bien que mal de comprendre pour quelles raison son fils était à ce point violent avec elle. Après une difficile année de cohabitation Annie les a quitté. Je crois, encore aujourd'hui qu'elle a davantage quitté le fils que le père. Et celui-ci a choisi de ne plus intégrer les femmes de sa vie à sa vie familiale.

Lorsque Frédéric a eu quatorze ans, il était devenu un adolescent franchement taciturne, voire inquiétant. Pierre et moi avions de longues discussions à son sujet. Et naturellement nous nous sommes rapprochés. J'avais grandement participé à l'éducation de son enfant, j'avais été présente dans la maison au cours de toutes ces années. Je crois que je suis tombée amoureuse de Pierre, par inadvertance et par habitude aussi. Et nous croyions sincèrement que Frédéric serait heureux que j'entre dans leur vie par la grande porte.

Il n'a pas tellement apprécié en fait. Je ne le gardais plus cependant j'allais tout de même souvent les voir. Autant pour le père que le fils désormais. Pierre et moi ne nous cachions pas, mais nous prenions notre temps pour annoncer la nouvelle à Frédéric. Nous n'avons pas eu le temps de le faire, c'était un garçon intelligent qui comprenait très vite ce qui se passait autour de lui. Alors un soir, j'allais me lever pour débarasser la table quand il m'a dit d'une voix sombre « Reste assisse. » Son injonction m'a sciée. Il s'est mis à parlé d'une voix lugubre, nous expliquant comment nous l'avions trahi. Comment, JE l'avais trahi. Il s'est levé et a fait le tour de la table. Avant que j'aie le temps de le réaliser, il me plantait un couteau de cuisine dans la colonne vertébrale.

Depuis ce jour, Frédéric est en institution. Nous avons découvert par la suite qu'il était atteint de schizophrénie. Moi, j'essaie tant bien que mal de m'habituer à une immobilité presque complète. Alors pour passer le temps, j'écris.

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6 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Réaction? Le souffle coupé!

Miss Patata

10:32 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Miss Patata : Tu devrais voir le sourire de satisfaction éclairer mon visage! Très contente de t'avoir eue.

9:19 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Droit dans le front, celle là. Hell yeah que j'aime ça me faire avoir de même. Encore ! Encore !
Tu as un talent fou, fou, fou, mais ça, je le dis souvent.
Ce que je dis moins souvent, c'est que mon gros secret, c'est de pondre ceci. Des histoires comme celles-là. Parce qu'elles sont. À la hauteur. Et bonnes. Et qu'on en redemande.

3:11 p.m.  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Écriture différente ici... fait changement! :)

Tu n'écris pas pareil quand tu ne t'inspire pas de ta vie.

5:53 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

JM : T'es super fine! Et je suis vraiment satisfaite de t'avoir eue, comme tu dis.

Prochain objectif, te faire rire autant que tu me fais rire!

La Souris : Le plus drôle, c'est que c'est une histoire inspirée d'un fait réel. Tout tordu soit, mais d'un fait réel pareil.

Obni : Merci, j'ai eu beaucoup de plaisir à respecter la contrainte que tu avais laisser traîner sur ton blogue.

10:00 a.m.  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Quoi, t'es paraplégique à cause d'une agression? Tu le caches bien! ;)

4:55 p.m.  

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