dimanche, mai 20, 2007

La courtisane

Cela faisait plusieurs mois déjà que je vivais dans cette petite bourgade isolée que j'avais choisie pour son calme et sa sérénité. Le coût de l'habitation, qu'on m'y avait galamment dénichée, avait aussi contribué à ma décision de m'y installer. Je n'avais pas mesuré, au moment de mon choix, le degré de solitude auquel je me suis heurtée. Moi qui avais l'habitude des nuits endiablées de la métropole, moi qui rayonnais dans toutes les activités sociales dignes de ce nom, j'étais désormais prise dans les filets serrés de cet oiseleur qui m'avait capturée, bien malgré moi. Toutes ses manoeuvres avaient été déployées avec tact et discrétion. Et je ne m'étais aperçu de mon erreur qu'une fois bien établie, perdue dans le fond de ce village au bord de l'eau, où peu de visiteurs ne s'égaraient.

Au tout début, j'avais encore des visites régulières, mais le hasard voulut qu'en plus ce bourg se voit confiné, encore davantage, par des luttes de territoires qui rendaient ardues les allées et venues dans ce bout du monde. Seuls les plus riches, ceux qui pouvaient payer taxes et autres pots-de-vin pouvaient désormais s'y rendre sans encombre. Mon oiseleur en faisait évidemment partie. Quand dans le coeur de la nuit, aux moments où il m'était interdit de fermer l'oeil, j'entendais son pas sur les marches qui menaient à ma porte, mon coeur devenait lourd. Je savais qu'il épierait chaque parcelle de ma demeure à la recherche de la présence d'autres hommes que lui. Je savais qu'il me reprocherait chaque sillons sur les draps de ma couche, chaque odeur masculine qui pourrait encore flotter dans l'air ambiant. Je savais qu'il exigerait encore et encore une fidélité que je lui refusais, malgré les cris, malgré les pleurs.

J'étais la femme de l'ombre, celle que l'on cache. Derrière l'épouse et mère que l'on ne quittera jamais. Celle qui était la femme de sa vie, son choix conscient et éminemment politique. Derrière la maîtresse en règle, celle qu'il était socialement convenable d'entretenir. La riche veuve à la sexualité oppressante qui multipliait les amants de la Haute. J'étais celle qu'il ne s'avouait même pas avoir logé dans sa vie, malgré le fait qu'il était celui qui avait trouvé la maisonnette où je demeurais, malgré le fait qu'il ait ourdi cet isolement avec soin, pendant des mois et des mois, avant que je ne finisse par tomber droit dedans. J'étais la femme à qui il demandait l'amour le plus profond, sans en comprendre les raisons réelles. J'étais la femme à qui il hurlait, en me labourant le corps, « aime-moi! »

J'étais la femme à qui on ne promet rien, mais à qui on demande en échange toute une vie. La femme qu'il ne pouvait s'empêcher de toucher dès qu'il se retrouvait en ma présence. Le coeur de son existence. Encore davantage lorsque je me risquais à quitter mon ermitage involontaire pour retourner voir le monde avant d'en être complètement oubliée. Lors de ces petites incursions dans le monde, chaque fois, même si j'avais pris le soin de le faire le plus discrètement possible, il retrouvait ma trace, retraçait mes pas. Il me jetait des regards noirs, vilipendait tout homme à mes côtés, à coup d'intelligence pétillante, aussi subtile que mesquine.

Peu à peu, même les hommes qui me fréquentaient depuis le plus longtemps se sont fait absents de mon entourage. Moi qui n'avais jamais eu d'amie à cause de mes choix de vie, j'étais totalement seule. Seule avec une colère grandissante dans le fond du ventre. Une colère contre cet homme qui me voulait tout à lui sans rien me donner en échange. Cet homme qui voulait ma peau, mes lèvres et mon coeur en tribut à sa vie désordonnée. Cet homme qui exigeait que je l'aime, de toute mon âme.

Les exigences d'un homme qui ne sait pas s'offrir le luxe d'aimer vraiment sont bien peu de chose dans la vie d'une courtisane. Si ce n'est qu'une source de revenus, l'assurance d'une maison douillette. Je ne sais pas encore combien de temps je le laisserai mordre mes chairs et pleurer sur mon ventre après l'amour. Je m'abreuve de sa folie, de cette passion qu'il ne reconnaît pas, et j'attends patiemment de pouvoir le renvoyer du revers de la main, à tout jamais.

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1 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Heureux de lire encore des merveilles. Au début, j'ai crû que tu parlais de ton séjour à Sherbrooke pour vite m'apercevoir qu'il s'agissait de fiction...

12:40 p.m.  

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