vendredi, juin 01, 2007

L'endroit où je vis

Je vis dans un quartier qui respirait autrefois à l'ombre des sirènes aliénantes que les chantiers navals, et autres usines, faisaient retentir pour appeler les ouvriers au travail. Un quartier ou s'entassaient au moins 2155 personnes dans un rayon de 4 km2, dans des appartements trop petits, faits sur le long, construits rapidement et ne laissant passer aucune lumière. La révolution industrielle québécoise étant passée depuis longtemps, il ne reste de cette époque que de vagues souvenirs et les structures architecturales des bâtiments. Cependant, les habitants de mon quartier sont des descendants en ligne directe de ces anciens ouvriers qui ne voyaient pas le jour. La nuit, même si j'habite dans la partie autrefois dévolue au mieux nantis, n'est pas calme autour de chez-moi, surtout lorsque le premier jour du mois pointe le bout de son nez.

Le soleil est à peine levé que, déambulant dans les rues pour remettre un film en retard, je constate que la rue Ste-Catherine est parée d'une file d'attente longue de deux coins de rues menant aux portes de la succursale de la Caisse-Populaire. Ils sont tous sur leur 31, lavés et peignés de frais pour leur rencontre mensuelle avec le caissier sympathique qui leur remettra, rubis sur l'ongle, le montant total de leur chèque d'aide sociale. Et ils se connaissent, se reconnaissent dans cette file qui les voit se pointer aussi régulièrement que l'horloge sonne les heures. Alors le bout de rue devient le théâtre de discussions laissées en plan le mois précédent comme s'il n'y avait eu qu'une journée de décalage entre ces deux rencontres pas tout à fait impromptues.

Quelques heures plus tard, sagement assise dans mon salon, j'entends déjà les cris des chicanes de ménage titillées par un surplus d'alcool. Et, toute la journée, c'est la valse des bouteilles de bière qui passent sous mes fenêtres. Je peux, au son, savoir si c'est un aller au dépanneur du coin, ou un retour. Avec la nuit qui descend doucement sur ces dernières heures de mai, les pas se font plus hésitants, mais les verbes plus forts et plus acérés. Les enfants sont laissés sans grande surveillance alors, malgré le fait que l'école soit à l'horaire du lendemain, je peux les entendre jouer dans la ruelle jusqu'à minuit. Moi, je reste tranquille à l'écart de toute cette agitation qui ne m'est pas familière.

Je vis dans un quartier habité par des gens fiers. Ils en connaissent chaque recoin. Ils vous parleront longuement tout ce qui y a vécu dans les dernières décennies et même avant. Ils n'ont pas beaucoup d'éducation, mais ils savent mesurer le pouls de leurs chez-soi. Ils n'ont pas beaucoup d'éducation, mais ils savent utiliser leur mémoire. Alors ils font revivre pour moi, ces souvenirs. C'est parfois un peu mêlant parce que je ne sais pas encore faire la différence entre les souvenirs qui appartiennent à un de ces locuteurs et ceux qui sont empruntés à des gens d'une génération précédente.

Je vis dans un quartier où chaque ruelle a son lot de matous grincheux. Un quartier où les gens se saluent dans la rue. Un quartier qui ressemble un peu à l'image idyllique des villages d'antan. Aujourd'hui, je regarde par ma fenêtre et je me sens enfin chez-moi.

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2 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Rien n'est plus magique que d'aimer vivre chez soi. Que de s'y sentir "soi", sans avoir l'impression d'emprunter le temps et la vie d'un(e) autre.
Cette chance rare... te va bien !

10:58 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Bien qu'on dit que ce n'est pas bon de ressaser le passé, je crois que de pouvoir s'en imprégner est une chance à laquelle tu profites pleinement! Tu en auras des histoires à raconter et une Histoire à reconstruire. En tous les cas, un pas de plus vers l'avenir...

10:53 a.m.  

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