mercredi, juin 03, 2015

Monsieur

Depuis hier, où que se portent mes yeux, il est question de Monsieur Parizeau. Grand homme, que je n'ai pas connu autrement que par sa prestance publique. Je sais depuis longtemps que je lui dois beaucoup, parce qu'il fait partie des bâtisseurs de la société dans laquelle j'évolue. En tant qu'historienne, je n'aurais jamais pu traverser mon corpus scolaire, au Québec, sans jamais avoir entendu parler de lui. Il m'aurait été d'autant plus difficile d'ignorer le personnage parce que dans mon histoire personnelle, j'ai été une militante étudiante, il y a longtemps, et que je suis née dans une famille souverainiste.

J'étais étudiante universitaire en 1995. J'ai connu le bouillonnement référendaire au premier plan. Je me rappelle encore très exactement de l'endroit où j'étais assise lorsque Bernard Derome a annoncé que si la tendance se maintenait le NON l'emporterait. J'ai un souvenir cuisant de la tête de Dédé Fortin sur l'écran géant qui s'est totalement défaite pendant qu'autour de moi gens pleuraient. Non, je n'étais pas au Spectrum ce soir-là, j'étais dans un petit bar de quartier de Sherbrooke. Mais l'image a été retransmise jusqu'à moi et aujourd'hui, il me semble que ça se confond avec le décès du chanteur, même si je sais très bien que plusieurs années ont séparé les deux événements. Évidemment, j'entends encore le discours de Monsieur Parizeau, amer après la défaite. On me l'a rejoué en boucle au moins un million de fois depuis. À tout coup, ça me blesse autant que la première fois et je dois admettre que j'ai mis beaucoup de temps à lui pardonner cet écart; on pardonne difficilement aux grands hommes leur humanité.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, je me rappelle aussi du référendum de 1980. J'allais avoir sept ans. Mes parents étaient militants. Il me semble qu'il y avait un ministre Tardif dans cette histoire, mais mes souvenirs sont plus que vagues à cet effet, j'étais après tout, un peu jeune pour comprendre quoique ce soit à la politique. Nous étions à l'école Regina Assumpta, et la journée était longue à mes yeux d'enfants. J'ai voulu aller à la toilette, un moment donné, mais personne ne voulait venir avec moi. On m'a indiqué le chemin, sauf que je n'ai jamais trouvé lesdites toilettes. Je me suis donc retenue toute la journée. Je me rappelle encore de ce jour de mai, brillant, nous marchions jusqu'à la maison et j'ai couru jusqu'à la salle de bain la plus proche mais je ne me suis pas rendue. C'est la dernière fois que j'ai fait pipi dans ma culotte, alors je peux dire, sans exagérer, que j'ai connu l'humiliation de ce jour, même si la mienne n'était pas celle de mes parents.

Ce n'est pas un événement qui s'éloigne tant que cela du sujet de ce texte. En fait, je suis née de la famille souverainiste. Parce qu'en réalité je dois beaucoup plus que le legs généreux que Monsieur à fait à cette société : mes parents se sont rencontrés en militant au bureau de compté de Parizeau dans Ahuntsic quelque part au début du projet du Parti Québécois.

Alors bien entendu que j'ai une pensée pour l'homme qui est parti. Parce qu'en plus de la société dans laquelle je m'inscris, je lui dois la vie.

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