Monsieur
Depuis hier, où que se
portent mes yeux, il est question de Monsieur Parizeau. Grand homme,
que je n'ai pas connu autrement que par sa prestance publique. Je
sais depuis longtemps que je lui dois beaucoup, parce qu'il fait
partie des bâtisseurs de la société dans laquelle j'évolue. En
tant qu'historienne, je n'aurais jamais pu traverser mon corpus
scolaire, au Québec, sans jamais avoir entendu parler de lui. Il
m'aurait été d'autant plus difficile d'ignorer le personnage parce
que dans mon histoire personnelle, j'ai été une militante
étudiante, il y a longtemps, et que je suis née dans une famille
souverainiste.
J'étais étudiante
universitaire en 1995. J'ai connu le bouillonnement référendaire au
premier plan. Je me rappelle encore très exactement de l'endroit où
j'étais assise lorsque Bernard Derome a annoncé que si la tendance
se maintenait le NON l'emporterait. J'ai un souvenir cuisant de la
tête de Dédé Fortin sur l'écran géant qui s'est totalement
défaite pendant qu'autour de moi gens pleuraient. Non, je n'étais
pas au Spectrum ce soir-là, j'étais dans un petit bar de quartier
de Sherbrooke. Mais l'image a été retransmise jusqu'à moi et
aujourd'hui, il me semble que ça se confond avec le décès du
chanteur, même si je sais très bien que plusieurs années ont
séparé les deux événements. Évidemment, j'entends encore le
discours de Monsieur Parizeau, amer après la défaite. On me l'a
rejoué en boucle au moins un million de fois depuis. À tout coup,
ça me blesse autant que la première fois et je dois admettre que
j'ai mis beaucoup de temps à lui pardonner cet écart; on pardonne
difficilement aux grands hommes leur humanité.
Aussi surprenant que cela
puisse paraître, je me rappelle aussi du référendum de 1980.
J'allais avoir sept ans. Mes parents étaient militants. Il me semble
qu'il y avait un ministre Tardif dans cette histoire, mais mes
souvenirs sont plus que vagues à cet effet, j'étais après tout, un
peu jeune pour comprendre quoique ce soit à la politique. Nous
étions à l'école Regina Assumpta, et la journée était longue
à mes yeux d'enfants. J'ai voulu aller à la toilette, un moment
donné, mais personne ne voulait venir avec moi. On m'a indiqué le
chemin, sauf que je n'ai jamais trouvé lesdites toilettes. Je me
suis donc retenue toute la journée. Je me rappelle encore de ce jour
de mai, brillant, nous marchions jusqu'à la maison et j'ai couru
jusqu'à la salle de bain la plus proche mais je ne me suis
pas rendue. C'est la dernière
fois que j'ai fait pipi dans ma culotte, alors je peux dire, sans
exagérer, que j'ai connu l'humiliation de ce jour, même si la
mienne n'était pas celle de mes parents.
Ce n'est pas un événement
qui s'éloigne tant que cela du sujet de ce texte. En fait, je suis
née de la famille souverainiste. Parce qu'en réalité je dois
beaucoup plus que le legs généreux que Monsieur à fait à cette
société : mes parents se sont rencontrés en militant au
bureau de compté de Parizeau dans Ahuntsic quelque part au début du
projet du Parti Québécois.
Alors bien entendu que
j'ai une pensée pour l'homme qui est parti. Parce qu'en plus de la
société dans laquelle je m'inscris, je lui dois la vie.
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