Zones de distorsion
Je l'avais remarquée à
cause de sa tenue vestimentaire. Elle portait le genre de pantalon
pas de fond que j'avais beaucoup croisés à l'époque où MC Hammer
sévissait sur les ondes et dans les télévisions. Aussi bien dire
que je n'avais rien vu de semblable depuis une éternité. Je n'y ai
pas vraiment porté attention, mais vraisemblablement, mon
subconscient lui, avait noté. Elle discutait avec une fille, une de
celle un peu trop jeune que je vois trop souvent errer dans mon
secteur. Celle-ci, je la reconnais sans peine vu qu'elle trimbale
avec elle son chat et la litière dudit chat, si ce n'est pas mes
yeux qui la notent, mon nez me rappelle généralement son souvenir.
J'ai poursuivi mon
chemin, sans plus y penser et fait le petit tour de centre-ville dont
j'avais envie, histoire de profiter de cette belle journée
printanière. Quelques rues plus loin, j'ai revu la même femme aux
pantalons remarquables. Cette fois, elle parlait avec deux jeunes
punks qui se produisent parfois dans la station de métro Papineau.
Leur musique est disons, discutable, mais ils sont polis et comme ça
fait plusieurs années qu'on se croisent tous les trois, je leur
donne parfois une petite poignée de monnaie pour leurs prestations,
même si je n'apprécie pas particulièrement leur œuvre. Ça m'a
fait sourire, de la voir à nouveau devant moi. Je les ai croisé
sans rien dire et sans m'occuper de leur affaires.
Arrivée dans le quartier
des spectacles, j'ai revu la même femme, toujours quelques mètres
devant moi, cette fois, elle était assise sur les marches de
l'esplanade, avec une autre femme qui n'avait pas du tout l'air d'une
jeune de la rue. C'est à ce moment que j'ai commencé à me dire que
j'avais l'impression que mon plan pour me sortir du jeu vidéo que
j'ai entammé en début de semaine ne fonctionnait visiblement pas
très bien vu que la femme me donnait l'impression de voyager par des
zones de distorsion qui lui permettaient d'être continuellement
quelques pas en avant de moi, sans que je la voit jamais me dépasser,
après que je l'ai laissée derrière moi.
Après avoir fait les
achats qui méritaient mon déplacement, j'ai entrepris de revenir
sur mes pas. La femme était toujours assise sur les marches de
l'esplanade, en grande discussion. Je ne lui ai lancé qu'un bref
coup d’œil avant de continuer ma route.
J'allais entrer la clef
dans la serrure de la porte quand j'ai entendu tout un charivari
derrière moi. Curieuse, j'ai regardé dans le parc pour voir ce qui
l'avait créé. C'est-là que j'ai vu un espèce de vélo de couleur
criarde, équipé de ce qui me semblait 100 paniers et autres sacs,
dont la cavalière était évidemment la dame que je ne cessais
d'apercevoir depuis plus d'une heure.
Elle est descendue de son
engin et s'est mise à vider la bête de son contenu et en moins de
temps qu'il en faut pour le dire, des ballons, des nappes, un panier
à pique-nique et un hibachi se sont matérialisés devant elle.
Et des tas de gens se
sont mis à arriver de partout pour se joindre à sa table.
Je n'ai pas pu m'empêcher
de penser que si je ne vivais pas dans un jeu vidéo, il était bien
évident qu'elle en était issue, en magicienne du social qu'elle me
semblait être.
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