Le buffet
Il y a des soirs de
printemps comme ça qui se drapent de la première vraie humidité de
l'année. On n'y est jamais tout à fait préparé, surtout après un
hiver qui nous a pris à bras-le-corps en nous faisant presque croire
qu'il s'était installé pour l'éternité. Et puis, brusquement, ça
sent l'herbe tendre, la boue avec des effluves de moufettes. Sur les
rues commerciales, les terrassent s'animent, la circulation piétonne
devient ardue puisqu'il faut désormais louvoyer entre les groupes de
passants arrêtés par une discussion animée.
C'est aussi le moment où
les premier moustiques sortent de leur torpeur hivernale pour venir
s'attaquer, voracement, aux pauvres humains qui ont le malheur de
croiser leur route. Je ne sais pas ce que goûte mon propre sang, ce
que je sais, par contre, c'est qu'il semble tout à fait prisé par
les hordes de bestioles qui s'en abreuvent pour la survie de leur
espèces. Aussi si loin que je me souviennent, j'ai toujours été un
buffet à moustiques. Quels qu'ils soient. Enfant, lorsque je faisais
des séjours en camps de vacances, je revenais à Montréal avec les
oreilles en charpie et la nuque dans un état lamentable.
Dans les dernières
années, je suis revenues de mes voyages dans le Sud, avec des
marques rouges et peu seyantes, témoignages visibles de l'affection
sincère que me portent ces petits vampires qui se nourrissent de mon
sang. Pour rire, parce que franchement, il faut bien savoir rire de
ces situations pas tout à fait agréable, je dis depuis des années
que je suis une très efficace chasse-moustique pour les personnes
qui m'accompagnent. Platement, il y a un peu de vrai dans cette
boutade, parlez-en à n'importe qui ayant déjà souper dans un
jardin en ma compagnie. Ces gens seront ravis d'avoir passer une
belle soirée dans être incommodés par les piqûres et moi j'en
ressortirai lardée de toute part. C'est immanquable. Même si je
suis une grande utilisatrice des répulsifs à moustiques.
Je suis consciente depuis
longtemps que j'ai un je ne sais quoi de très attrayant pour ces
bêtes féroces. Sauf que je me fais quand même prendre à tous les
ans. Je suis invariablement la proie naïve de ces premières soirées
un peu humides que je ne vois pas arriver d'assez loin.
Il doit y avoir 12
maringouins de réveillés sur l'île de Montréal, mais bien
évidemment, ils me trouvent tous du premier coup et s'abreuvent
goulûment à ma source. Avec une prédilection évidente pour les
endroits qui me sont les plus inaccessibles : entre mes
omoplates, sous la plante des pieds ou autres locations qu'il est
difficile d'atteindre en toute occasion.
Ne nous leurrons pas,
j'aime le printemps, je l'adore même, c'est une saison qui me
réjouit le cœur et l'esprit. Sauf que je me passerais bien
volontiers des attaques intempestives des moustiques qui se régalent
de ma chair. Mais je crois que c'est peine perdue. Il y a quelque
chose chez-moi qui les attire irrémédiablement comme si j'étais un
buffet à ciel ouvert.
Misère...
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