Mon histoire de chiens
Le premier ami que j'ai
eu dans ma vie a été un gros labrador noir, nommé Caïd. Du moins,
c'est ce que ma mère me dit, moi, je n'en ai aucun souvenir. Nous
l'avons mis en adoption à la campagne parce qu'un gros chien comme
lui, dans un petit appartement montréalais qui galopais après une
minuscule fillette dans sa marchette, ça faisait un peu trop de
bruit aux oreilles des propriétaires. Il semblerait que je n'avais
pas du tout peur du chien, que c'est moi qui le réveillais à coup
de pieds pour qu'il me courre après et que ces aventures éperdues
se terminaient inévitablement en éclats de rire sans fin. Ça me
ressemble assez, de rire sans arrêt, je veux dire.
On peut donc affirmer que
j'ai débuté ma vie en très bonne relation avec les chiens. Ça a
cessé brutalement, lorsqu'un ado de ma rue qui possédait un gros
berger allemand a mis son chien à courir après moi, pour rire je
crois, et que j'ai eu la peur de ma vie (je devais avoir cinq ou six
ans à l'époque). Avec le recul je crois que le chien ne m'aurait
pas fait de mal, que son maître et lui ne voyaient qu'un jeu à
cette anecdote. Pas moi. Je me souviens avoir couru aussi vite que
mes jambes pouvaient me porter, devançant le chien de peine et de
misère (il devait me laisser une chance parce que c'est clair qu'il
devait être beaucoup plus rapide que moi) et fermant la porte juste
avant qu'il ne se jette dessus.
En tout cas, ça a été
suffisant pour me faire haïr les gros chiens après cela et en
développer une phobie. Comme n'importe quelle phobie, le fait que
j'évite de croiser ces bêtes qui me faisaient peur, n'a fait
qu'empirer les choses. Et ça a duré longtemps. Nous avons eu un
chien à la maison après, un petit chien jappeur et fugueur, pas
très gentil, que je n'aimais pas particulièrement. J'en suis venue
à la conclusion que je n'aimais pas beaucoup les chiens. Point.
Quand j'ai pris sur moi
de reconquérir l'espace de liberté que m'avait grugé la
dépression, j'ai aussi décidé d'essayer de me rabibocher avec les
gros chiens. Je me disais que si tant de gens les aiment, il n'y
avait pas de raison pour que je m retrouve tétanisée sur un coin de
rue parce que j'en croise un, un peu jeune et enjoué. La première
chose que j'ai dû apprendre a été de ne pas me figer complètement
dans leur environnement. Dur, dur. Ce genre de réflexe acquis, et
cultivé, pendant des années ne cesse pas juste parce qu'on en a
décidé ainsi. J'ai eu la chance de partager une cours avec des gens
qui avaient un gros rottweiler paresseux, beaucoup plus gourmand que
violent. Ça calme l'angoisse de la grosse bête. Depuis, je ne fuis
plus les gros chiens, mais je ne les cherche pas non plus.
Et puis, ma sœur a
adopté un chien. Un gros chien beige, tout mêlé dans son
ascendance. Un gros chien jaune qui se prend pour un chien de poche
et qui la suit pas-à-pas où qu'elle aille. De ce fait, il s'invite
aux réceptions et autres fêtes, au grand plaisir de toute la
famille, sauf de moi.
Lui c'est un charmeur qui
le temps de me séduire, évitant de me lécher le visage et même de
m'approcher. La dernière fois que je l'ai vu, je me suis surprise à
le flatter, grande première depuis l'histoire de la frousse.
C'est donc, peut-être,
ce que je me suis offert pour mon anniversaire, un autre jalon pour
chasser de ma vie ces peurs qui immobilisent.
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