jeudi, juillet 30, 2015

Fixation

Je ne sais pas pour vous, mais il m'arrive quelquefois de me mettre à faire des fixations sur les sujets qui, il n'y a pas si longtemps, je m'intéressaient pas du tout. Pour une raison obscure, je remarque les pieds des gens que je croise depuis le retour du printemps, cette année.

Cette lubie a débuté par un soir de mai, un peu chaud, quand j'ai aperçu une femme qui se promenait en pieds de bas dans le magasin. Avec des orteils bien définis. Je l'ai remarquée alors que je montais l'escalier mobile et qu'elle descendait l'autre escalier. Je lui avais répondu un peu plus tôt dans la soirée, sans avoir vu l'absence de ses chaussures, et j'avais trouvé la discussion ardue puisqu'elle parlait un anglais aléatoire, tellement teinté d'accent que j'avais peine à comprendre ce qu'elle me demandait. J'allais aller lui dire qu'il serait bienvenu qu'elle se chausse autrement quand elle a quitté le magasin, et mon champ de compétence.

Sauf que ça m'a turlupiné cette histoire de chaussettes dans le magasin. Depuis, mes yeux se posent invariablement sur les pieds des gens qui m'entourent. Et je me suis mise à développer un genre de phobie de promener mes propres pieds pas assez habillés.

Il a beaucoup de pieds féminins aux ongles colorés; petites touches de lumière dans les horizon mornes et répétitifs des lieux commun. Il y a aussi des pieds masculins, très soignés dans leurs sandales chiques ou non. Des pieds propres, des pieds sales. Des pieds nus. Vraiment. À toutes les fois ça me sidère, surtout quand je les vois traverser le bitume chauffé par le soleil de canicule, sans qu'une pause se fasse dans l'air d'allée. Des petits pieds d'enfants. Il y a des pieds abîmés, quelque soit l'âge de leur propriétaire, qui racontent bien souvent l'histoire d'une vie.

Depuis que j'ai entrepris cette espèce d'observation sociologique des pieds de mes concitoyens, le nombre d'accidents de gougoune dont j'ai été témoin est assez surprenant. La fille qui fait un plongeon disgracieux et potentiellement dangereux parce qu'un quidam trop pressé a marché sous son talon mais sur la tong en question, le gars qui perd la sienne entre le quai et le wagon du métro ou encore les innombrables incidents de café ou autre liquide sur les petons des citadins.

Je sais que j'ai moi-même longtemps promené me pieds dans des sandales ouvertes, mais depuis quelques années, pour le travail, je dois porter des chaussures avec le bout fermé. Question de sécurité. Il n'est pas recommandé de s'échapper une pile de livres sur des orteils en évidence : ça a tendance à provoquer le genre de douleur à faire damner un saint. Alors je garde les miens bien cachés dans des chaussures d'été.

Je me dis qu'à force, j'ai un peu le sentiment d'avoir développé une certaine forme de gêne à pavaner mes orteils de manière trop ostentatoire, je ne les aborde plus que dans une certaine intimité

Et puis, je ne suis pas trop tentée par les douches intempestives de café.

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