jeudi, mars 03, 2016

Intimité gluante

La palissade jaune et blanche créait une sorte de zone d'ombre dans un corridor pourtant bien éclairé. Depuis quelques jours, le banc devant la porte principale du magasin se peuplait régulièrement d'adolescents en quête d'une certaine forme d'intimité. Du moins, c'est ce que je m'imaginais, au départ.

J'avais oublié l'ostentatoire de la très jeune adolescence amoureuse. Celle qui est fière d'en être rendue-là, c'est-à-dire à s'embrasser à bouche que veux-tu, devant témoins si possible. Et les témoins ne manquaient pas, entre les clients qui sortaient en maquant de les heurter, les employés qui ne pouvaient faire autrement que de voir leur démonstration et les amis qui étaient adossés à la palissade, le manège ne pouvait pas passer inaperçu.

C'en était quelque peu déconcertant. De mon poste d'observation involontaire, je voyais les autres jeunes essayer de ne pas prêter trop attention au couple qui, parallèlement semblait faire tout son possible pour écraser ses voisins même si leur positionnement pouvait laisser croire que les deux personnes en question essayaient d'occuper très exactement le même espace. À un certain moment, un garçon du groupe est allé se réfugié à l'extérieur, se laissant frigorifié par la bise de mars qui laissait présager une tempête attendue. Je m'étais alors dit que j'aurais sans doute choisi cette solution si j'avais été à sa place.

Cette réflexion m'a alors ramenée bien loin dans mes souvenirs à la fin de mon secondaire trois, je pense. Cette année-là un nouveau couple s'était formé avec la fonte des neiges. La fille de ce couple, était une de mes connaissances. Je ne dirais pas une amie, mais nous avions deux cours ensemble lors desquels nous étions assises côte-à-côte, pour cause d'ordre alphabétique de noms de famille. J'avais beaucoup de plaisir à partager des niaiseries avec elle, j'ai coupé tous les ponts lorsqu'elle est tombée amoureuse pour la première fois.

Ce n'est pas tant que j'étais jalouse de son nouveau statut que parce qu'eux aussi avaient la tendance, fâcheuse, à vouloir se fusionner. Il s'embrassaient dès que possible, partageaient invariablement la même chaise, même si plusieurs autres étaient disponibles et s'échangeaient goulûment leurs gommes à mâcher avec force bruits de succion. Je trouvais cela un peu dégueux. Non, pas mal dégueux. Mais ce qui a fait que j'avais finalement décider de ne plus du tout rechercher leur compagnie, ça été le jour où ils se sont mouchés l'un l'autre en commentant joyeusement le contenu des kleenex. OU-A-CHE!

Je ne suis pas partie droite comme la justice. J'ai plutôt attendu la prochaine cloche et je me suis trouvé d'autres occupations lorsque d'aventure on terminait un cours en même temps et que nos pas nous amenaient dans la même direction.

Je me rappelle cependant m'être promis de ne jamais me mettre en scène de manière aussi flagrante qu'ils le faisaient et je suis pas mal convaincue d'avoir réussi.

Mais il semblerait que les jeunes ados actuels soient aussi sans gêne que ceux de mon époque, faisant déborder, au passage, leur intimité sur celle d'autrui.

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