Intimité gluante
La palissade jaune et
blanche créait une sorte de zone d'ombre dans un corridor pourtant
bien éclairé. Depuis quelques jours, le banc devant la porte
principale du magasin se peuplait régulièrement d'adolescents en
quête d'une certaine forme d'intimité. Du moins, c'est ce que je
m'imaginais, au départ.
J'avais oublié
l'ostentatoire de la très jeune adolescence amoureuse. Celle qui est
fière d'en être rendue-là, c'est-à-dire à s'embrasser à bouche
que veux-tu, devant témoins si possible. Et les témoins ne
manquaient pas, entre les clients qui sortaient en maquant de les
heurter, les employés qui ne pouvaient faire autrement que de voir
leur démonstration et les amis qui étaient adossés à la
palissade, le manège ne pouvait pas passer inaperçu.
C'en était quelque peu
déconcertant. De mon poste d'observation involontaire, je voyais les
autres jeunes essayer de ne pas prêter trop attention au couple qui,
parallèlement semblait faire tout son possible pour écraser ses
voisins même si leur positionnement pouvait laisser croire que les
deux personnes en question essayaient d'occuper très exactement le
même espace. À un certain moment, un garçon du groupe est allé se
réfugié à l'extérieur, se laissant frigorifié par la bise de
mars qui laissait présager une tempête attendue. Je m'étais alors
dit que j'aurais sans doute choisi cette solution si j'avais été à
sa place.
Cette réflexion m'a
alors ramenée bien loin dans mes souvenirs à la fin de mon
secondaire trois, je pense. Cette année-là un nouveau couple
s'était formé avec la fonte des neiges. La fille de ce couple,
était une de mes connaissances. Je ne dirais pas une amie, mais nous
avions deux cours ensemble lors desquels nous étions assises
côte-à-côte, pour cause d'ordre alphabétique de noms de famille.
J'avais beaucoup de plaisir à partager des niaiseries avec elle,
j'ai coupé tous les ponts lorsqu'elle est tombée amoureuse pour la
première fois.
Ce n'est pas tant que
j'étais jalouse de son nouveau statut que parce qu'eux aussi avaient
la tendance, fâcheuse, à vouloir se fusionner. Il s'embrassaient
dès que possible, partageaient invariablement la même chaise, même
si plusieurs autres étaient disponibles et s'échangeaient goulûment
leurs gommes à mâcher avec force bruits de succion. Je trouvais
cela un peu dégueux. Non, pas mal dégueux. Mais ce qui a fait que
j'avais finalement décider de ne plus du tout rechercher leur
compagnie, ça été le jour où ils se sont mouchés l'un l'autre en
commentant joyeusement le contenu des kleenex. OU-A-CHE!
Je ne suis pas partie
droite comme la justice. J'ai plutôt attendu la prochaine cloche et
je me suis trouvé d'autres occupations lorsque d'aventure on
terminait un cours en même temps et que nos pas nous amenaient dans
la même direction.
Je me rappelle cependant
m'être promis de ne jamais me mettre en scène de manière aussi
flagrante qu'ils le faisaient et je suis pas mal convaincue d'avoir
réussi.
Mais il semblerait que
les jeunes ados actuels soient aussi sans gêne que ceux de mon
époque, faisant déborder, au passage, leur intimité sur celle
d'autrui.
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