Histoire (de) Belle
Belle était une toute
jeune fille allumée d'une beauté stupéfiante. Du genre de celle
qu'on est certain qu'elle ne peut pas exister dans la vraie vie, et
pourtant je l'ai côtoyée quotidiennement durant des années. À
seize ans, elle était svelte et souple et avait une magnifique
chevelure d'un brun chaud, longue et épaisse, semblable à ce que
l'on voit dans les commerciaux de shampoing. Son visage ovale portait
de jolies lèvres pulpeuses et ses yeux verts tachetés d'or
rendaient le tout sublime.
C'était le genre de
personne qui obtenait tout sans effort. Sa beauté singulière lui
ouvraient bien des portes. Au centre de son univers tous se
démenaient pour lui faire la meilleure place. C'était un espèce de
soleil autour duquel gravitait une gang de filles et un groupe de
gars qui se disputaient ses faveurs. Bref, tout lui réussissait,
sauf les sciences.
On s'était connues dans
des cours de rattrapage de mathématiques afin de pouvoir terminer
notre scolarité dans l'école privée que nous fréquentions. Nous
étions une vingtaine, mais seulement trois filles. Alors forcément,
pendant ces mois d'été, nous avions fait connaissance. Rien ne nous
aurait, autrement prédisposées à devenir amies. Je ne suis même
pas certaine que nous le fussions de toute manière.
C'était le genre de
fille qui disait que les gars de notre âge étaient trop jeunes,
trop niais et surtout trop pauvres pour elle. Ni moi, Annie, ni
l'autre fille qui formait le dernier membre de notre trio improbable,
ne comprenions sa manière d'envisager l'amour. Ça ne nous
préoccupait pas vraiment d'ailleurs, nous nous contentions d'écouter
et d'acquiescer aux moment propices tout en se faisant des gros yeux
dans son dos.
Pas une d'entre nous n'a
réussi son cours d'été et nous nous sommes retrouvées prises pour
changer d'école. Annie e moi avons donc mis le cap vers l'école
publique du quartier tandis que nous avons perdu la trace de Belle.
Bien des années plus
tard, on m'a dit qu'elle avait rencontré, à la fin de cet été là,
un gars plus vieux qu'elle, début vingtaine. Qu'il était beau,
riche, plein de promesses, comme Belle l'avait si ardemment désiré.
Par amour, elle l'avait
suivi en Ontario et avait dansé pour lui. S'était prostituée aussi
jusqu'au jour où sa beauté phénoménale s'était étiolée à
force de drogues et d'abus et que ce prince, pas du tout charmant,
lui préfère une femme plus jeune, plus docile, qui rapporterait
davantage.
Si je connais la fin de
cette histoire, c'est par hasard. C'est une ex-toxicomane qui me l'a
racontée, elle l'avait connue dans un bar de danseuse minable dans
le nord du Québec.
Une bien triste histoire
à laquelle je ne cesse de penser depuis que j'entends parler des
fugues multiples de jeunes filles dans la région de Montréal.
Et je ne peux m'empêcher
de me dire que courir après un rêve peut parfois mener au
cauchemar.
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