mercredi, février 24, 2016

Un bien drôle de vieux monsieur

Je suis bien chanceuse, j'ai une amie qui s'achète plein de billets de spectacles et le deuxième me tombe régulièrement entre les mains, pour mon plus grand plaisir. Ainsi, nous avons découvert, ensemble, que si nous aimons la danse, on se garde une petite gène pour les danses expérimentales qui nous laissent plus perplexes qu'autre chose. Ou encore que nous sommes bien heureuses d'avoir enfin découvert ce qu'était la musique klezmer.

Pour une raison qui m'échappe, nous avons souvent eu des billets à côtés du même couple de vieux Juifs. Je sais qu'ils sont juifs parce que c'est la dame du couple qui me l'a appris, il y a quelques années alors que je l'aidais à s'installer à peu près convenablement sur une chaise beaucoup trop droite et trop peu confortable pour son vieux corps. Son mari, ne m'a jamais adressé la parole et j'ai fini par comprendre que c'est parce qu'il ne parle aucunement le français et que son anglais est tellement teinté d'accent slave que c'est difficile de le comprendre pour quelqu'un qui, comme moi, ne maîtrise pas totalement la langue de Shakespeare.

Quand je suis assise à côté de la dame, ça ne me fait plaisir, elle est agréable et fort cultivée. Elle aime les jeunes (clairement pour elle, je ne suis qu'une petite poulette à peine sortie de l'enfance), mais lorsque je suis à côté de son mari, je me sens un peu moins confortable. D'abord, il est à peu près sourd comme un pot. Alors il ne parle pas, il hurle. Ce qui n'a rien d'agréable. Ensuite, il semble continuellement en colère. Je crois qu'il sort encore parce qu'il se dit que c'est ce qu'il doit faire ou pour faire plaisir à son épouse, mais en tout cas, clairement pas parce qu'il en a envie.

La plupart du temps, il donne des coups de pieds sur mon banc ou celui d'en face et c'est toujours moi qui ai droit aux regards assassins des personnes qu'il bouscule. Ensuite, il marmonne dans sa barbe imaginaire des mots que je ne peux pas comprendre puisqu'ils sont soit en yiddish ou en polonais. Il me donne l'impression. Sa femme ne s'occupe que peu ou pas de ses récriminations, faisant allègrement causette avec le voisinage, distribuant les sourires et les anecdotes de leurs longues vies à tous les deux. Selon ce que je peux en déduire, ils ont bien plus de quatre-vingts ans tous les deux.

Cependant, ce qui m'exaspère le plus, lorsque je voisine ce monsieur, c'est qu'il mange des caramels mous et des chocolats tout le long du spectacle et qu'il s'essuie les doigts sur mon manteau parce qu'il n'a pas de mouchoir sur lui (sauf celui en tissus carrelé dans lequel il se mouche bruyamment périodiquement). Et qu'il fiche tous les emballages de ses bonbons dans mes poches ou mon sac-à-main. Comme s'il voulait être bien certain que je me rappelle de lui.

C'est une drôle de petite peste de nos jours, à l'image de celui qu'il était, peut-être, enfant. Je n'ai aucune idée de son identité, mais je ne serai pas du tout surprise d'apprendre qu'il a un jour été un de ces Juifs de Montréal qui ont façonné la ville, mais dont la plupart de ses concitoyens ont oublié le nom.

En tout cas, puisque je le décris aujourd'hui, je ne l'oublierai pas, malgré le fait que j'ignore tout de son nom.

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