Princesse, mon amie
Je l'avais rencontrée un
an plus tôt. Mais ça faisait déjà quelques mois que nous
entendions parler l'une de l'autre. Son père et moi avions récemment
renoué une amitié qui s'était perdue dans le brouillard des
communications qui s'étiolent. Par conséquent, elle connaissait mon
nom avant de voir mon visage pour la première fois.
Ce soir-là, je n'avais
aucune espèce de chance, puisqu'il y avait des enfants ce qui était
forcément plus intéressant qu'une madame inconnue. Malgré les
efforts que j'avais fait pour faire sa connaissance, elle m'avait
superbement ignorée si ce n'était un timide « bonsoir »
murmuré de l'arrière des jupes maternelles.
En décembre dernier,
cependant, nous étions nettement moins nombreux et les invités
étaient exclusivement adultes. Et puis, elle était passé
quelquefois à la librairie avec son papa, donc une petite brèche
était ouverte.
J'aime les enfants, c'est
une vérité de La Palice. Alors si j'ai une occasion, aussi minime
soit-elle, de me faire une amie d'un âge préscolaire, c'est clair
que je vais sauter dessus. La jeune demoiselle s'était faite belle,
pour ce repas d'avant Noël, elle avait un joli papillon dessiné sur
le visage et une jupe qui tourne. J'avais illico reconnu la
princesse. Je lui avait donc, innocemment, posé la question, à
savoir si elle était une princesse. Et elle m'avait répondu :
« Ben oui », du ton de l'évidence crasse.
Comme la reine des neige
était particulièrement à la mode, j'avais tôt fait de supposer
qu'elle était ladite reine de neiges, mais pour la faire marcher, je
lui avait demandé si elle était Anna. J'avais alors eu droit à un
« Ben non » sur un ton qui laissait croire que j'étais
vraiment à côté de la
plaque. J'avais joué la surprise : « Ah non? Tu ne veux
pas être Anna? Tu préfères être Elsa? Moi je la trouve super
Anna, elle est courageuse tout du long... » Et la petite
m'avait répondu catégoriquement « Ben non, elle ne fait même
pas de magie ». Tout était donc dit.
Mais
mon petit plan avait admirablement fonctionné, j'avais montré mes
connaissances étendues dans les sujets importants et je pouvais lui
parler de toutes sortes d'autres princesses et de livres que je
connaissais bien parce que c'est mon métier, entre autres, de
connaître les livres pour enfants.
Au
souper, la petite m'avait gentiment dressé une place à côté de la
sienne (mes ustensiles étaient particulièrement bien cachés dans
un morceau d'essuie-tout tout déchiré qui devait, censément, faire
office de serviette de table), avec un beau verre en plastique pour
boire du lait avec le dessert, avais-je appris.
Le
verre de lait avait fini sur mes vêtements, après un éclat de
grandiloquence qui manquait peut-être un peu de contrôle dans
l'usage des bras.
Arrivée
chez-moi je sentais un peu le caillé, mais je trouvais que c'était
un bien faible tribut à payer pour m'être fait une nouvelle amie.
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