Les frontières impossibles
La nuit de finissait pas
de ne pas finir. Le soleil était pourtant levé, mais à l'heure où
les convives s'étaient couchés, tu ne te sentais pas d'attaque pour
secouer tous les corps morts et puis, d'abord tu te sentais coupable.
Quand tu avais fermé la
porte de ta chambre, tu savais
qu'il y avait quelqu'un d'endormi dans les manteaux. Mais tu en avais
plus qu'assez de veiller, ça faisait trois soirs en ligne qu'il y
avait des fêtes de toutes sortes autour de toi. Celle-là n'était
pas la tienne, mais ça adonnait que c'était chez-toi. Prévue de
longue date, alors si tu manquais de sommeil tu n'avais que toi à
blâmer.
L'absence
de geste, le fait de n'avoir pas jeté dehors le corps endormi,
c'était une forme de courtoisie. Mais voilà que la politesse
s'était retournée contre toi et que t'étais retrouvée dénudée
et touchée par des mains pratiquement inconnues, une main sur ta
bouche pour atténuer les sons. Tu l'avais repoussé, trop tard. Trop
tard parce que l'acte avait été entièrement consommé avant que tu
ne te réveille. Trop tard parce que ton corps, ce traître, avait
répondu de toutes ses fibres à ce qui se passait sans que tu en
aies conscience.
Dans
la lumière blafarde de ce matin d'hiver, tu te sentais sale, mais tu
refusais d'aller te laver tant qu'IL était encore dans la maison. Tu
n'avais aucune envie de mettre un pied dans ta chambre pour aller te
chercher des vêtements propres et pas non plus le courage de faire
un esclandre devant plein de monde que tu ne connaissais que peu ou
pas de tout pour mettre l'intrus dehors.
Les
minutes s'égrenaient comme autant d'heures. Et tu revoyais toutes
les fois où tu t'étais mise en danger en partant avec des mecs
inconnus, en marchant toute seule dans les nuits de villes trop
grandes pour toi. Et tu repensais à la soirée de la veille, en
sachant pertinemment que c'était les deux précédentes qui
t'avaient assommée.
Et
puis ton coloc t'avais trouvée sur le divan. Le regard vide. Il
t'avais demandé ce qui se passait. Tu avais réussi à répondre
qu'il y avait quelqu'un dans ton lit. Alors tu l'avais vu se mettre
dans une colère vigoureuse et tout ce que tu avais voulu éviter
comme esclandre avait alors éclaté avec retentissement. Ton secret
avait été irrémédiablement éventé.
Et
tu t'étais prise à penser que le corps était une bien mince
frontière pour protéger ton âme.
Libellés : Sur la frontière du réel