mercredi, février 17, 2016

Les frontières impossibles

La nuit de finissait pas de ne pas finir. Le soleil était pourtant levé, mais à l'heure où les convives s'étaient couchés, tu ne te sentais pas d'attaque pour secouer tous les corps morts et puis, d'abord tu te sentais coupable.

Quand tu avais fermé la porte de ta chambre, tu savais qu'il y avait quelqu'un d'endormi dans les manteaux. Mais tu en avais plus qu'assez de veiller, ça faisait trois soirs en ligne qu'il y avait des fêtes de toutes sortes autour de toi. Celle-là n'était pas la tienne, mais ça adonnait que c'était chez-toi. Prévue de longue date, alors si tu manquais de sommeil tu n'avais que toi à blâmer.

L'absence de geste, le fait de n'avoir pas jeté dehors le corps endormi, c'était une forme de courtoisie. Mais voilà que la politesse s'était retournée contre toi et que t'étais retrouvée dénudée et touchée par des mains pratiquement inconnues, une main sur ta bouche pour atténuer les sons. Tu l'avais repoussé, trop tard. Trop tard parce que l'acte avait été entièrement consommé avant que tu ne te réveille. Trop tard parce que ton corps, ce traître, avait répondu de toutes ses fibres à ce qui se passait sans que tu en aies conscience.

Dans la lumière blafarde de ce matin d'hiver, tu te sentais sale, mais tu refusais d'aller te laver tant qu'IL était encore dans la maison. Tu n'avais aucune envie de mettre un pied dans ta chambre pour aller te chercher des vêtements propres et pas non plus le courage de faire un esclandre devant plein de monde que tu ne connaissais que peu ou pas de tout pour mettre l'intrus dehors.

Les minutes s'égrenaient comme autant d'heures. Et tu revoyais toutes les fois où tu t'étais mise en danger en partant avec des mecs inconnus, en marchant toute seule dans les nuits de villes trop grandes pour toi. Et tu repensais à la soirée de la veille, en sachant pertinemment que c'était les deux précédentes qui t'avaient assommée.

Et puis ton coloc t'avais trouvée sur le divan. Le regard vide. Il t'avais demandé ce qui se passait. Tu avais réussi à répondre qu'il y avait quelqu'un dans ton lit. Alors tu l'avais vu se mettre dans une colère vigoureuse et tout ce que tu avais voulu éviter comme esclandre avait alors éclaté avec retentissement. Ton secret avait été irrémédiablement éventé.

Et tu t'étais prise à penser que le corps était une bien mince frontière pour protéger ton âme.

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