Les grandeurs et les travers de l'ordinaire
C'était dans une
ancienne église, toute petite et bondée. Au dehors, février se
rappelait à nos bons souvenirs en laissant tomber des flocons de
paysage de carte-postale. À l'intérieur, on aurait pu se croire à
une assemblée dominicale d'une autre époque, tellement tout le
monde, sauf Fred et moi, avait l'air de faire partie du décors
habituel de cette salle. La moyenne d'âge dépassait largement les
nôtres et la foule nous donnait l'impression qu'elle était
rassemblée non pas tant parce que l'artiste était celle qu'on
voulait voir, mais bien que c'était l'activité à faire un vendredi
soir dans cette petite ville de banlieue. Ce qui ne l'empêchait pas
d'être attentive et charmée par le spectacle qui se déployait
devant nos yeux. Par contre, je crois bien que j'étais la seule à
fredonner tout bas les parole en même temps que la chanteuse.
À son premier pas sur
scène, tout le public a constaté qu'elle était enceinte.
Pleinement et sereinement enceinte. Juste ça, c'était beau à voir.
Mais, l'hiver avait réclamé son dû à la jeune dame qui avait une
voix quelques tons plus bas que ce que j'avais l'habitude d'entendre
sur les disques que j'écoute régulièrement. Malgré cet handicap,
elle est allée jusqu'au bout de sa prestation, même si elle nous
avait avoué avoir tronqué de quelque pièces ce qu'elle avait prévu
au départ parce que justement, elle n'était pas du tout convaincue
que sa voix lui permettrait de se rendre à la dernière note.
Ça faisait des années
que je la connaissais de nom. J'avais entendu de ses chansons à la
radio et je savais que ça me plaisait, mais je ne possédais aucun
de ses album avant tard dans 2015. Et puis mes oreilles se sont
laissées happées par son piano, un jour d'été au travail. Il y
avait quelque chose dans la suite de notes dans l'introduction d'une
pièce qui me faisait presque mal. Alors je me suis mise à
l'écouter. Comme je fais rarement les choses à moitié, j'avais
parcouru son désert des solitudes
jusqu'à plus soif. Et je m'étais jetée sur l'album suivant comme
une louve affamée. Sans déception aucune. Cette maison du
monde répondait entièrement à
me attentes en termes de musique, mais surtout en termes poétiques.
Dans
la vielle église, une femme s'affirmait. Dans toute la complexité
de la dualité de ses rôles d'amante, de mère et de musicienne.
Chaque mot portant sa propre émotion, bien appuyée par les les
mélodies. D'une main délicate, ou d'un balancement d'épaule
improbable, elle dégageait à la fois force et fragilité. Moi je la
regardais, envieuse de ces bonheurs qu'elle nous partageait sans
réserve. Je me suis prise à penser que je ne l'aurais jamais
qualifiée de plus belle femme du monde, mais elle était sans
conteste, la femme la plus séduisante que j'ai jamais vue en
spectacle.
Elle
s'appelle Catherine Major. Son œuvre est une orfèvrerie de mots et
de mélodies qui se répondent les uns aux autres avec justesse et
vérité.
Mais
surtout, elle est une femme qui parle des femmes, dans leurs
grandeurs et leurs travers ordinaires. Ce qui en fait quelqu'un de
bien extraordinaire, au final.
Libellés : Digressions, Spectacles