Une chanson pour le bain
Quand ma sœur était
toute petite, il y a eu un petit incident qui lui a fait avaler, à
peu près, la moitié l'eau du bain avant que je ne la sorte de là.
J'ai eu peur et je lui ai fait peur. Pauvre petite. Et puis, l'été
suivant, je crois, elle s'était jetée à l'eau sans ses flotteurs
et sans savoir encore nager. Ces deux événements ont
considérablement teintés sa relation avec l'eau, il me semble, en
tout cas, elle aime beaucoup moins ça que moi.
Pendant un bout de temps,
il n'était pas si facile de l'amener à prendre son bain, même si
c'était nécessaire et qu'elle n'était pas tout à fait assez grande
pour prendre sa douche. Alors j'avais composé, pour elle, une petite
chansonnette, disons plutôt une comptine chantée, afin que cette
corvée soit un peu amusante, un peu moins épeurante, un peu moins
une obligation vraiment trop plate, aussi.
Son fils, pour sa part, a
vraisemblablement hérité de mon amour de l'eau. Il gazouille tout
son soûl lorsque son papa l'amène dans la salle de bain et qu'il
entend la champlure. Et quand on le plonge dans l'eau, il n'est pas
loin de l'extase. Il sourit, babille, bat des jambes et des bras et
essaie de boire toute l'eau qu'il peut atteindre avant que la main
vigilante du papa ne lui tourne diligemment la tête. Il est un petit
poisson bien confortable dans son milieu aquatique protégé.
J'ai participé, une
fois, au rituel, et je me suis bien amusée à lui chanter les airs de
Passe-Partout qui concernent
les poissons et les grenouilles et autres machins du même genre
pendant que son papa lui chantait une histoire d'escargot que ce
poupon très précis semble apprécier tout particulièrement.
Et
puis hier, profitant d'une journée de congé sortie de nulle part,
j'ai passé l'après-midi avec ma mère, ma sœur et l'enfançon en
question. Comme dit ma sœur, j'étais venue faire ma tournée de
guili-guili à son fils, ce qui est l'exacte vérité, mais
j'appréciais aussi beaucoup de passer du temps en famille, en dehors
des soupers dominicaux dont nous avons l'habitude.
Je
ne sais pas trop pourquoi on a reparlé de la soirée lors de
laquelle j'avais assisté au bain du petit. Toujours est-il que je
disais à ma sœur ce que je lui avais chanté. Et elle de me
répondre : « Sais-tu ce que je lui chante moi? Je lui
chante cela... » Et elle lui a fredonné la vieille
chansonnette sortie de sa propre enfance. Adaptée pour son fils. Et
il la regardait en souriant, heureux d'entendre sa chanson de bain.
Je
n'ai rien dit sur le coup, j'étais beaucoup trop émue. Si j'avais
parlé, je crois que j'aurais versé toutes les larmes de mon corps
comme un torrent le sur plancher de sa salle-à-manger.
J'avais
composé une petite chose, sans aucune espèce d'importance, pour une
enfant à qui j'avais donné, sans le vouloir, une certaine peur de
l'eau et plus de trente ans plus tard, c'était devenu une petite
ritournelle pleine de bonheur pour son fils, à elle.
Si
j'avais su que mon pas d'oreille musicale me mènerait, un jour, là,
je me serais peut-être jugée un peu moins sévèrement, point de
vue musical, s'entend.
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