dimanche, juin 26, 2016

Les jardins secrets

Montréal, comme la plupart des villes, recèle des secrets qui ne se révèlent qu'à ceux qui savent les voir. Soit par intérêt ou encore parce qu'ils auront appris le mot de passe pour en déclencher l'accès.

Depuis quelques années, je connais l'un de ces secrets. Un bout de verdure improbable qui longe la Rivière-des-prairies. De l'extérieur, ça ne paie pas de mine, mais une fois la clôture traversée, c'est un peu comme remonter le passé à quelques dizaines d'années d'ici, à une époque où la voiture n'avait pas encore tout à fait dompté les habitats naturels. On s'y sent comme à la campagne, loin de toute civilisation, pourtant... Pourtant ça jouxte, presque, un gros boulevard difficilement franchissable à pieds. Mais de cet endroit bien préservé, on ne le voit ni ne l'entends.

La journée avait été belle, pleine de soleil et de brise estivale. On y tenait une réunion familiale, de quatre générations. C'était convivial et simple. On en était à s'amuser du fait que le seul enfant présent à notre table soit si concentré sur sa nourriture qu'il ne faisait plus aucun bruit faisant dire à son papa qu'il avait stationné ledit poupon de l'autre côté de la rivière pour avoir la paix en soupant, quand nous nous sommes tous aperçus que quelque chose clochait. Pas à table, mais dans le cours d'eau; il y avait une personne qui tentait de traverser, vers Laval.

Nous étions sidérés. Parce que c'était une mission impossible, même pour un nageur expérimenté. Premièrement, le courant est particulièrement fort, à cet endroit. Deuxièmement, les navires à moteurs et autres moto-marines y font de fréquents passages, aussi bruyants que rapides. Attrapant le téléphone de son chum, ma sœur avait appelé le 911 illico. L'amoureux, de son côté, était parti voir si, sur le site, quelqu'un n'aurait pas une embarcation qu'on aurait pu mettre à l'eau rapidement pour repêcher le téméraire. De la berge, ma sœur suivait le nageur des yeux avec attention tandis qu'il disparaissait aux yeux de la plupart des convives.

L'homme avait faillit se faire frapper par plusieurs embarcations car pas un navigateur ne s'attendait à trouver un nageur à cet endroit. Celui-ci avait d'ailleurs renoncé à sa traversée à mi-parcours, se laissant dériver vers la rive montréalaise, là où le courant le repoussait immanquablement. C'est en entendant les sirènes des camions de pompiers, quelques mètres devant elle, que ma sœur avait pu raccrocher, certaine que notre compagnon de souper importun serait pris en charge.

Toute cette aventure n'avait durée que quelques minutes, cinq tout au plus, et pourtant, il nous avait semblé que c'était beaucoup plus long. Nous étions encore sous le choc quand la police a rappelé pour nous annoncer que le nageur leur affirmait avoir simplement suivi son entraînement de natation. On ne l'avait pas cru, la police non plus.

Nous avions appris, un peu plus tard, qu'en fait c'était un fêtard passablement intoxiqué qui s'était lancé un défi niaiseux, sans doute alimenté par les substances qu'il avait consommé ce jour-là.

Et c'est là que je me suis dit que Montréal, comme la plupart des villes possède des lieux secrets qui sont bien gardés, mais, malgré le fait qu'on les aies trouvés et qu'on les fréquente, la ville, elle ne nous laisse jamais oublier qu'elle est là, tout près, quelles que soient les chimères qu'on se raconte pour se faire croire qu'on en est sortis.

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