Les jardins secrets
Montréal, comme la
plupart des villes, recèle des secrets qui ne se révèlent qu'à
ceux qui savent les voir. Soit par intérêt ou encore parce qu'ils
auront appris le mot de passe pour en déclencher l'accès.
Depuis quelques années,
je connais l'un de ces secrets. Un bout de verdure improbable qui
longe la Rivière-des-prairies. De l'extérieur, ça ne paie pas de
mine, mais une fois la clôture traversée, c'est un peu comme
remonter le passé à quelques dizaines d'années d'ici, à une
époque où la voiture n'avait pas encore tout à fait dompté les
habitats naturels. On s'y sent comme à la campagne, loin de toute
civilisation, pourtant... Pourtant ça jouxte, presque, un gros
boulevard difficilement franchissable à pieds. Mais de cet endroit
bien préservé, on ne le voit ni ne l'entends.
La journée avait été
belle, pleine de soleil et de brise estivale. On y tenait une réunion
familiale, de quatre générations. C'était convivial et simple. On
en était à s'amuser du fait que le seul enfant présent à notre
table soit si concentré sur sa nourriture qu'il ne faisait plus
aucun bruit faisant dire à son papa qu'il avait stationné ledit
poupon de l'autre côté de la rivière pour avoir la paix en
soupant, quand nous nous sommes tous aperçus que quelque chose
clochait. Pas à table, mais dans le cours d'eau; il y avait une
personne qui tentait de traverser, vers Laval.
Nous étions sidérés.
Parce que c'était une mission impossible, même pour un nageur
expérimenté. Premièrement, le courant est particulièrement fort,
à cet endroit. Deuxièmement, les navires à moteurs et autres
moto-marines y font de fréquents passages, aussi bruyants que
rapides. Attrapant le téléphone de son chum, ma sœur avait appelé
le 911 illico. L'amoureux, de son côté, était parti voir si, sur
le site, quelqu'un n'aurait pas une embarcation qu'on aurait pu
mettre à l'eau rapidement pour repêcher le téméraire. De la
berge, ma sœur suivait le nageur des yeux avec attention tandis
qu'il disparaissait aux yeux de la plupart des convives.
L'homme avait faillit se
faire frapper par plusieurs embarcations car pas un navigateur ne
s'attendait à trouver un nageur à cet endroit. Celui-ci avait
d'ailleurs renoncé à sa traversée à mi-parcours, se laissant
dériver vers la rive montréalaise, là où le courant le repoussait
immanquablement. C'est en entendant les sirènes des camions de
pompiers, quelques mètres devant elle, que ma sœur avait pu
raccrocher, certaine que notre compagnon de souper importun serait
pris en charge.
Toute cette aventure
n'avait durée que quelques minutes, cinq tout au plus, et pourtant,
il nous avait semblé que c'était beaucoup plus long. Nous étions
encore sous le choc quand la police a rappelé pour nous annoncer que
le nageur leur affirmait avoir simplement suivi son entraînement de
natation. On ne l'avait pas cru, la police non plus.
Nous avions appris, un
peu plus tard, qu'en fait c'était un fêtard passablement intoxiqué
qui s'était lancé un défi niaiseux, sans doute alimenté par les
substances qu'il avait consommé ce jour-là.
Et c'est là que je me
suis dit que Montréal, comme la plupart des villes possède des
lieux secrets qui sont bien gardés, mais, malgré le fait qu'on les
aies trouvés et qu'on les fréquente, la ville, elle ne nous laisse
jamais oublier qu'elle est là, tout près, quelles que soient les
chimères qu'on se raconte pour se faire croire qu'on en est sortis.
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