Un quart de siècle
C'était une magnifique
journée de fin d'été, le soleil dardait de ses rayons la pelouse
verdoyante et pourtant j'avais peur, je pourrais même dire nous
avions peur.
Trois
adolescentes sur le pas de la porte de l'entrée des étudiants.
Trois adolescentes et une grosse chienne jaune. Est-ce qu'on allait
s'y plaire? Est-ce qu'on allait se faire des amis? Serions nous des
Martiennes parmi les Terriens de ce paysage? Il faut dire que nous
avions été soudainement transplantées d'un collège privé à cet
école de quartier pour notre cinquième secondaire. Et nous
trouvions, collectivement, que cet état de faits était passablement
inhumain. Tout cela parce que nous avions échoué nos maths
enrichies.
On
s'était vite rendues à l'évidence que nous n'avions que peu, sinon
pas du tout de cours ensemble. Ce qui participait grandement à notre
sentiment de déséquilibre et de solitude potentielle. En plus, nous
n'avions pas pu choisir nos compagnons de casiers, et ceux qui nous
avaient été assignés étaient, évidement, bien éparpillés dans
l'immense pièce qui les contenaient tous. J'avais hérité d'un
partage avec un grand rouquin bien maigre, en révolte contre
l'autorité en générale et l'école en particulier. Je m'étais
demandé comment j'allais survivre à ceci, pour rien, évidemment,
parce qu'il était rapidement devenu mon premier nouvel ami.
Au
bout du compte, on s'était pas mal débrouillées, pour s'intégrer.
L'une d'entre-nous s'était rapidement distancée, allumée qu'elle
était par ce nouvel environnement. L'autre et moi, par contre, avons
dû passer la première semaine à s'attendre à tous les
tournants,ensuite on se fréquentait toujours assidûment, mais pas
constamment.
Pour
moi, ça aura été une très belle année. Une année de liberté
parce que mon implication scolaire n'était plus tributaire de mes
notes. Je pouvais ainsi me laisser aller, à cœur joie, à toutes
sortes d'activités stimulantes avec des gens qui partageaient les
même intérêts que moi sans qu'un conseiller pédagogique ne me
menace de me les retirer parce que je ne n'atteignais pas les niveaux
d'excellence requis. Incidemment, mes notes, plutôt que de
dégringoler avaient singulièrement augmenté.
Cependant,
mon amie et moi nous sommes toujours considérées davantage comme
des élèves de ce collège privé plutôt que de cette vaste école
secondaire. Après tout, nous y avions passé beaucoup plus de temps
et nous connaissions beaucoup mieux les gens de cette première école
secondaire que ceux de la seconde. Aussi, nous n'avions pas hésité,
dix ans après la fin de nos cours, à nous rendre aux retrouvailles
du collège et à bouder celui de l'école. En fait, je ne suis même
pas certaine que nous ayons su où et quand avait eu lieu les
deuxièmes.
Mais
hier soir, il y avait une petite soirée très simple, vingt-cinq ans
après la fin des cours. Mon amie et moi nous étions donné
rendez-vous au métro le plus proche pour arriver ensemble. Comme à
l'époque.
Et
comme à l'époque, il était évident que malgré nos vies
divergentes, nous sommes toujours faites de la même fibre, que nous
n'avions pas changer tant que cela, que personne en réalité n'a
changé tant que cela. On est sans doute moins exacerbés qu'à
l'époque, tous autant que nous sommes.
Je
crois bien, par ailleurs, qu'on en est bien soulagés parce que de
vivre à ce point sur la corde raide toute une vie, ça aurait été
beaucoup trop taxant pour n'importe quel humain.
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