dimanche, juin 12, 2016

Un quart de siècle

C'était une magnifique journée de fin d'été, le soleil dardait de ses rayons la pelouse verdoyante et pourtant j'avais peur, je pourrais même dire nous avions peur.

Trois adolescentes sur le pas de la porte de l'entrée des étudiants. Trois adolescentes et une grosse chienne jaune. Est-ce qu'on allait s'y plaire? Est-ce qu'on allait se faire des amis? Serions nous des Martiennes parmi les Terriens de ce paysage? Il faut dire que nous avions été soudainement transplantées d'un collège privé à cet école de quartier pour notre cinquième secondaire. Et nous trouvions, collectivement, que cet état de faits était passablement inhumain. Tout cela parce que nous avions échoué nos maths enrichies.

On s'était vite rendues à l'évidence que nous n'avions que peu, sinon pas du tout de cours ensemble. Ce qui participait grandement à notre sentiment de déséquilibre et de solitude potentielle. En plus, nous n'avions pas pu choisir nos compagnons de casiers, et ceux qui nous avaient été assignés étaient, évidement, bien éparpillés dans l'immense pièce qui les contenaient tous. J'avais hérité d'un partage avec un grand rouquin bien maigre, en révolte contre l'autorité en générale et l'école en particulier. Je m'étais demandé comment j'allais survivre à ceci, pour rien, évidemment, parce qu'il était rapidement devenu mon premier nouvel ami.

Au bout du compte, on s'était pas mal débrouillées, pour s'intégrer. L'une d'entre-nous s'était rapidement distancée, allumée qu'elle était par ce nouvel environnement. L'autre et moi, par contre, avons dû passer la première semaine à s'attendre à tous les tournants,ensuite on se fréquentait toujours assidûment, mais pas constamment.

Pour moi, ça aura été une très belle année. Une année de liberté parce que mon implication scolaire n'était plus tributaire de mes notes. Je pouvais ainsi me laisser aller, à cœur joie, à toutes sortes d'activités stimulantes avec des gens qui partageaient les même intérêts que moi sans qu'un conseiller pédagogique ne me menace de me les retirer parce que je ne n'atteignais pas les niveaux d'excellence requis. Incidemment, mes notes, plutôt que de dégringoler avaient singulièrement augmenté.

Cependant, mon amie et moi nous sommes toujours considérées davantage comme des élèves de ce collège privé plutôt que de cette vaste école secondaire. Après tout, nous y avions passé beaucoup plus de temps et nous connaissions beaucoup mieux les gens de cette première école secondaire que ceux de la seconde. Aussi, nous n'avions pas hésité, dix ans après la fin de nos cours, à nous rendre aux retrouvailles du collège et à bouder celui de l'école. En fait, je ne suis même pas certaine que nous ayons su où et quand avait eu lieu les deuxièmes.

Mais hier soir, il y avait une petite soirée très simple, vingt-cinq ans après la fin des cours. Mon amie et moi nous étions donné rendez-vous au métro le plus proche pour arriver ensemble. Comme à l'époque.

Et comme à l'époque, il était évident que malgré nos vies divergentes, nous sommes toujours faites de la même fibre, que nous n'avions pas changer tant que cela, que personne en réalité n'a changé tant que cela. On est sans doute moins exacerbés qu'à l'époque, tous autant que nous sommes.

Je crois bien, par ailleurs, qu'on en est bien soulagés parce que de vivre à ce point sur la corde raide toute une vie, ça aurait été beaucoup trop taxant pour n'importe quel humain.

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