La journée spéciale
Tu te demandais pourquoi,
depuis quelques temps, tu acceptais toutes les invitations du samedi
soir, quand c'était pour toi, le dernier jour de semaines souvent
trop longues, pleines de monde que tu ne connaissais pas.
Ce samedi ne faisait en
aucun cas exception. Même si l'envie d'y être se disputait âprement
avec l'envie de ne pas y faire apparition. Mais bon, une fois encore
tu avais donné ta parole d'amie et cette parole-là, pour toi, vaut
de l'or. Alors mauvaise ou bonne foi dans la manche, tu t'y étais
rendue.
La majorité des convives
étaient arrivés bien avant toi. Le soleil faisant, la détente et
tout ce qui s'en suit faisant leur effet, tu te sentais un peu
déphasée. Si tu connaissais certains visages, tu étais un
satellite dans l'environnement, de manière assez évidente. Un
satellite bienvenu, accepté et intégré. Avec des retrouvailles à
quelques dizaines d'années d'intervalles entre ces hiers et les
aujourd'huis.. Des gens que tu ne connaissais plus sinon que par les
nouvelles éparses que tu glanais de temps à autres auprès de l'ami
commun que l'on fêtait en ce jour.
Et puis, tu avais décidé
de suivre un cerf-volant, de loin, parce que tu te rappelais des
échecs cuisants de ton enfance à essayer d'en faire voler, mais il
y avait une enfant dont la maman était partie faire une course qui
avait bien envie d'aller courir après le dragon dans le ciel. En te
rendant sur les lieux du crime à venir, tu avais annoncé à
l'enfant en question que tu avais connu sa mère dans une autre vie,
histoire de tisser un lien et tu avais eu le réflexe de demander à
la fillette en question si elle aimait lire. Grand bien t'en fit. La
question était à peine terminée qu'elle laçait sa petite menotte
à la tienne. Confiance et abandon. Ton cœur s'était serré à ce
geste et avait fondu quelques pas plus loin quand c'est tout ton bras
qui avait été enserré, pour te montrer ton importance du moment.
À cet instant, tu avais
senti l'émotion partir du sol que tu foulais pour aller se
réverbérer jusque dans le moindre de tes cheveux. Quelque chose de
grand et de beau. Tu reconnaissais l'importance de l'offrande
amicale, la générosité du geste. Tu savais que les enfants ne
faisaient pas confiance sans raison aux femmes qu'ils ne connaissent
presque pas, sinon lorsque leur instinct leur dictait de se laisser
aller parce que geste en valait la peine.
Et tu n'avais pu faire
autrement que te partir rapidement parce que tu avais compris que les
grosses montées d'émotions te rendaient friable à la colère. Même
si tu n'avais aucune raison de te fâcher, le fragile équilibre
entre toi et toi demandait un certain recul. Tu sentais les larmes
frôler tes paupières et tu étais consciente de ne pouvoir les
verser en public, même si les émotions qui les sous-tendaient
étaient positives. Tu avais appris à tes dépends que tu gérais
très mal ces vagues émotionnelles.
Tu avais quitté juste à
temps, à temps pour faire le chemins du retour les larmes coulant
allègrement sur le rond de tes joues. Avec en tête le titre imposé
par ta nouvelle amie « la journée spéciale ».
Ce qu'elle fut.
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