D'un Kevin à l'autre
C'était un homme, encore
assez jeune, où qui en avait l'air. Il errait entre les rayons,
complètement perdu. Je n'avais pu faire autrement que de lui
demander ce qu'il cherchait entre une course vers la caisse et une
autre vers une destination dont j'ai oublié l'objectif.
Il m'avait dit, sur un
ton complètement découragé : « je cherche un livre pour
mon fils ». Ça peut être un enjeu, l'air de rien. J'avais
donc demandé à l'homme quels étaient les intérêts de son fils et
ça l'avait immobilisé. Il m'avait alors regardée différemment.
Comme si j'étais soudainement devenue une magicienne. Il m'avait
alors décrit son neuf ans, allergique à la littérature
fantastique, un peu glauque et un tantinet humoristique.
Pas simple de l'aider. On
dirait qu'il n'existe plus que les histoires drôles ou les séries
remplies de magie, de dragons et tutti quanti
pour les jeunes garçons qui aiment lire. Qui plus est, le papa qui
me faisait face voulait des livres exclusivement en langue originale
française parce qu'il fallait préserver celle-ci. Bien entendu
j'aimais le propos et le principe, moi qui suis une amoureuse
indéfectible de la langue française, je ne pouvais faire autrement
que d'approuver ses choix.
J'avais
fini par dénicher trois auteurs qui pouvaient entrer dans ce qu'il
désirait offrir à son fils. Il en avait pris un, bien content de
son choix.
Environ
trois semaines plus tard, j'ai recroisé le même homme, dans à peu
près les mêmes circonstances, j'étais-là pour épauler les
libraires jeunesse un soir où il y avait beaucoup plus de gens que
ce que l'on aurait pu prévoir. Personnellement, je ne l'avais pas
reconnu d'une fois à l'autre. En réalité, je me disais simplement
que l'homme en question ressemblait beaucoup à Kevin Parent mais
qu'il avait un quelque chose de plus qui m'était familier.
Lorsqu'il
s'était décidément aligné sur moi pour que je le serve, j'avais
été un peu gênée parce qu'en toute honnêteté, je le trouvais
fort séduisant. Il m'avait alors rappelé que je l'avais conseillé
récemment pour des livres qu'il destinait à son enfant et que mes
premiers choix ayant été des succès, il avait décidé de revenir
dans ma librairie au cas-où j'aurais pu trouver autre chose pour son
lecteur en devenir. Ça m'avait touchée, immensément.
On
avait fini par discuter à bâtons rompus de toutes sortes de sujets,
de l'importance de la langue dans laquelle on parlait, surtout qu'il
était Acadien, analyste financier ayant travaillé quelques années
à Toronto, et profondément fier de sa langue maternelle, assez en
tout cas pour m'obliger à me creuser la cervelle pour lui trouver
autre chose pour son petit bonhomme qui aimait déjà lire, et don le
papa tenait mordicus à cultiver cet intérêt.
Avant
de partir il m'avait dit « je m'étais dit « Kevin
retourne voir la libraire qui t'avais si bien aidé l'autre jour,
tout d'un coup qu'elle aurait d'autres bonnes lectures à te
proposer » ».
Je
n'avais pu m'empêcher de rire dans ma barbe imaginaire parce que que
d'un Kevin à l'autre, j'avais trouvé le moyen d'en contenter un,
intellectuellement du moins....
Libellés : Digressions