Dresser des murs
Quand on s'était
rencontrés, je ne savais pas la pérennité de la présence que tu
occuperais dans ma vie, avec ou sans mon consentement. Comme si ces
amours juvéniles, celles que les adultes regardent avec une
condescendance certaine traçaient un ancrage permanent.
À l'époque des
balbutiements de nos rencontres, je t'aimais bien. Je te trouvais
intelligent, je te trouvais amusant quelquefois, je dois admettre que
j'étais fascinée. Je te savais égoïste déjà. Je savais que tu
désirais que j'accorde mon point de vue au tien. Mais je n'ai jamais
été de celles qui se plient aux diktats de ceux qui parlent plus
fort que les autres. Pas tant que je confrontais, certainement pas à
cette période de ma verte jeunesse en tout cas, j'étais plutôt
adepte des faux-fuyants et je me trouvais d'autres moyens d'être
heureuse malgré les pressions, en choisissant des avenues où je
pouvais avoir un espace confortable plutôt qu'à tenter de rejoindre
le groupe le plus en vue, si pour l'atteindre il aurait fallut que je
me dénature.
Je n'aurais jamais
imaginé que malgré les l'éloignement géographique et
psychologique, à plus de quarante ans, se rétrécirait comme peau
de chagrin à de multiples reprises, au fil des ans.
Au moment où j'avais
pris la décision de couper les ponts, je me faisais la réflexion
que tous les atouts étaient dans mes manches : nous n'habitions
plus les mêmes villes, nous ne fréquentions plus les mêmes
cercles. Ça me semblait si simple.
Sauf qu'on dirait qu'à
tous les murs que j'ai dressés, il y a des trous, te concertant.
Comme si tu avais le chic d'en saboter toutes les assises, malgré
toutes mes tentatives de garder mes distances. Combien de fois
suis-je tombée des nues lorsqu'un individu à qui je n'avais pas
consacré une pensée en plus de dix ans, m'a affirmé suivre mon
cheminement à travers la lecture que tu en avais? Je ne sais pas et
je ne désire certainement pas en faire le décompte. Je peux par
ailleurs affirmer que ce genre de rencontre me sape le moral, et sans
doute aussi un petit bout de confiance en moi.
Je me fais un point
d'honneur de ne pas parler de toi à tous ceux qui pourraient te
passer la parole. Je te laisse vivre comme je voudrais que tu le
fasse avec moi. Je te laisse être et devenir sans y mettre mon grain
de sel. Ma demande, ma très grande demande, est simplement que tu
m'accordes ces mêmes droits.
À une époque où
l'internet épie le moindre de nos gestes, il est si facile d'épier
tout un chacun et d'en tirer les conclusions que l'on veuille bien y
trouver. Mais justement, ce sont des interprétations, souvent à des
kilomètres de la réalité.
Je suis lasse de devoir
briser l'image de moi que tu renvoies à d'autres qui risquent de me
croiser. Je suis lasse de me défendre de ne pas être celle que tu
avais imaginer. Je ne l'ai jamais été, ne le serai jamais, je n'ai
ni les aptitudes ni la force de ressembler à ce que j'imagine que tu
voudrais que je sois.
Parce qu'au fond, ce à
quoi j'aspire, c'est que tu suives tes chemins et que tu me laisse
suivre les miens.
Libellés : Digressions, Sur la frontière du réel