mercredi, avril 26, 2017

Jamais deux sans trois

Les trains de métro, les soirs de semaines sont des lieux étranges ; ni complètement vides ni particulièrement pleins, juste remplis à capacité agréable. Il y a quelques mois, sur la ligne orange quelque part entre 21h00 et 22h00, j'étais innocemment en train de lire un livre, bien plongée dans mon histoire, quand un homme surgit du wagon voisin (d'un vieil MR-63) et dès que le train se fut remis en marche après son arrêt à une quelconque station il s'était planté à côté de moi (me faisant faire un saut assez incroyable au passage) pour déclamer :

« Bonsoir, j'ai une annonce importante à faire. Mon nom est Éric, je vis dans la rue. Ce n'est pas une vie que j'ai choisie de bon cœur, mais c'est la mienne. Ce que je vis, ça pourrait arriver à tout le monde ou à n'importe qui. Il suffit d'une bad luck et le monde se revire à l'envers. Le dernier repas complet que j'ai mangé remonte à hier matin. J'aurais besoin de votre aide. Il me manque 12,50$ pour pouvoir me payer une nuit à l'hôtel, prendre une douche, dormir dans un vrai lit et manger ».

J'avais trouvé son laïus bien bâti et relativement touchant. Je savais qu'il avait raison au sujet des petites choses qui peuvent pousser les gens à la rue, mais j'ai résolu, il y a longtemps de ne pas donner de main à main, surtout pas dans mon quartier, parce que ce sont des plans pour que je me retrouve moi-même sur la paille, dans le temps de le dire, étant donné la multitude de mains tendues que je croise quotidiennement. Alors j'avais laisser à d'autres le soin de remplir la casquette qu'il tendait en me disant qu'il devait vraiment avoir une histoire à raconter, ne serait-ce que parce que la qualité de son langage dénotait une éducation qui pourrait ressembler à celle que j'ai reçue.

Il y a deux ou trois semaines, dans la même tranche d'heures, je l'ai vu changer de wagon à Berri, au moment où j'y entrais. C'était sur la ligne verte, mais je l'ai tout de suite reconnu. Au moment où le train s'était ébranlé, il avait refait exactement le même discours. Montant d'argent manquant inclus. Comme je m'attendais à son envolée, je n'ai pas cette fois fait le saut, malgré le fait qu'il était encore très proche de moi. J'avais alors commencé à avoir certains doutes sur l'utilisation qu'il pourrait faire du pécule qu'il ramasserait, sans toutefois le juger. Après tout, je dépense moi-même pas mal d'argent dans des choses qui ne sont pas si bonnes que cela pour moi, la cigarette en premier lieu.

Et ce soir, la même scène s'est reproduite. Encore sur la ligne verte. Je me suis même amusée à murmurer le laïus en même temps que lui, juste pour voir si ma mémoire m'était fidèle. Elle l'était.

Je ne le juge toujours pas, sa vie, ne doit pas être rose et toute forme d'aide doit-être la bienvenue. Mais, j'en arrive à la conclusion que je ne peux toujours pas nourrir toutes les mains qu'on me tend et que la solution de donner à des organismes est la seule viable pour moi.

Le plus ironique dans l'histoire, c'est qu'en sortant du métro Papineau, je suis allée m'acheter une pinte de lait pour mon café du matin et que je me suis fait demandé par un autre marginal de mon quartier si je pouvais lui payer un morceau de fromage. Je n'ai pas eu le temps de répondre puisqu'un commis d'épicerie est venu rappeler à l'homme question qu'il n'avait pas le droit de quêter à l'épicerie.

Heureusement qu'il y a des remparts comme ceux-là, sans quoi je me sentirais continuellement un peu trop égoïste pour mon propre bien.

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