Interruptions involontaires
Je déambule généralement
avec des écouteurs dans les oreilles, un peu, je présume, pour
préserver ma bulle, beaucoup, pour continuer d'apprendre, parce que
j'écoute rarement autre chose que la radio. Si d'aventure, ça
arrive, je chantonne généralement allègrement avec mon baladeur,
laissant, me semble-t-il savoir que je suis dans un monde qui
n'appartient qu'à moi.
J'ignore, ce qui dans
cette attitude prête à la conversation, toujours est-il que je me
fait continuellement adresser la parole par des inconnus quand je ne
m'y attends pas. C'est particulièrement vrai quand j'attends en file
pour payer mes emplettes à l'épicerie tard le soir. Ça m'arrive
assez régulièrement étant donné mon horaire atypique. On me
raconte tout et n'importe quoi, ces derniers jours, la température
en a beaucoup fait les frais. Dans ces situations, j'ai parfois
l'impression d'être la première personne à laquelle mes
interlocuteurs aient parlé de la journée. Alors, je les écoute en
souriant et en essayant de ne pas prendre un air condescendant.
Quelquefois, mon
tempérament bouillant est mis à rude épreuve. Parce que ce sont
souvent des hommes qui m'adressent ainsi la parole, des hommes plus
vieux que moi qui me racontent des bonnes blagues. Généralement
très sexistes, ou salaces, bref, à des kilomètres de l'humour qui
m'amuse. J'ai développé avec le temps, toutes sortes de stratégies
pour répondre sans répondre et fermer la porte à d'autres
commentaires que je pourrais trouver aussi malaisants que ces petites
blagues malvenues.
Des fois, je me dit que
le fait que j'écoute la radio n'est pas étranger à ces
conversations impromptues. Surtout quand je syntonise des émissions
qui me font rire, soit dans leur entièreté, soit dans certaines de
leurs parties, parce que j'aborde alors un large sourire qui se
décolle difficilement de mon visage. J'imagine que j'ai, à ces
occasions, l'air avenant. Le plus drôle, c'est que lorsque je suis
dans ce genre d'écoute, je ne veux généralement pas en manquer un
iota, parce que justement, ça m'amuse et me détend. Je tente
néanmoins de faire bonne figure, malgré le dérangement. Ce doit
être un réflexe de service à la clientèle, dûment intégré.
La plupart du temps, je
crois que tout ce résume à cela : ma face de service à la
clientèle. Ça fait tellement longtemps que je suis aux premières
loges des clients bêtes que je me fais un devoir de ne jamais faire
sentir aux personnes qui me servent à leur tour, mes mauvais poils
et autres aléas de l'existence. Peut-être que cette attitude
dépasse un tantinet ma volonté et ouvre des portes à toutes ces
parenthèses qui ne me font pas envie.
Ce que ces personnages ne
savent pas, c'est que je suis une portraitiste du quotidien et que
tout ce qu'ils peuvent bien me raconter finira un jour ou l'autre
dans la sève de ce que je crée. Que ce qu'ils me narrent
m'intéresse, ou pas...
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