jeudi, mars 23, 2017

Changer le cours des choses

Tu avais rêvé ta vie, bien avant de la vivre. Tu savais que tu étais bien mal partie dès le départ. Non, tu n'avais pas eu les bons parents biologiques, mais tu te savais tout de même assez chanceuse dans ta famille d'accueil, qui elle n'avait rien de sordide. C'était peut-être un peu trop bruyant, un peu trop essoufflant, un peu trop n'importe quoi pour que tu aies eu envie d'y rester trop longtemps.

Comme beaucoup d'ados, tu t'étais projetée dans le rêve qui commençait inévitablement par avoir ton appartement. Sauf que, vivre en appartement, ça coûte cher. Trop cher pour un petit salaire de commis de dépanneur. Ta chance, dans tout ça, c'est que dans le petit village où tu as grandi, il n'y a pas de cégep, alors forcément, tu devais quitter le premier pour pouvoir étudier et ça, tu y tenais. Parce que dans tes rêves il y avait toujours des tonnes de nouvelles choses à apprendre.

Alors, bien entendu, quand tu avais rencontré ce beau gars-là, au charme incendiaire, avec ses grands yeux noirs comme le fond d'un puits et cette fragilité, ce désir d'amour et d'absolu tu n'avais pas trouvé si étrange qu'il te propose immédiatement d'emménager chez-lui, même si au fond, vous ne vous connaissiez pas beaucoup. Tu t'étais simplement dit qu'il n'y avait aucune raison pour que tu n'ai pas autant que lui le courage de t'engager.

Cependant, tu avais vite compris que rien dans cette relation n'était sain. La petite fragilité du départ, s'était rapidement transformée en escaliers qui se déboulaient, en mots qui faisaient mal, en interdits de toute sorte. Assez pour que tu vives avec la peur au quotidien. Peur qu'il ait trop bu, peur qu'il pète une coche parce que tu avais décidé de faire quelques heures supplémentaires, peur que ta complicité avec des nouvelles copines du travail, ou du cégep, soit mal perçue.

Tu avais donc fermé ta grande gueule plus souvent qu'à ton tour, jusqu'à ce que la phrase « tu es la femme de ma vie » te devienne un cauchemar. Et tu savais que tu ne pouvais pas le quitter. Qu'il fallait qu'il soit celui qui termine la relation sans quoi les conséquences pourraient être fâcheuses pour toi. Mais tu avais sauté sur l'occasion de partir quand il t'avais parlé d'un break. Bien évidemment, tu voyais cette coupure bien différemment de lui. Bien évidemment tu rayonnais de toutes tes cellules, toutes tes fibres durant cette césure et tu avais aussitôt rencontré quelqu'un d'autre. Un gars bien simple qui ne t'offrait pas tant d'habiter avec lui, mais de te trouver un appartement à toi, en colocation, à la limite, pour que tu puisses goûter un peu à la liberté.

Tu avais alors pris toute ta force de vie dans tes mains, traverser les étapes comme il se devait, soit commencer par aviser la police que tu devais retourner chercher tes choses à un endroit où tu étais possiblement en danger afin de te donner une chance de changer le cours des choses. Le problème, c'est qu'avec ton beau grand sourire, ta force intérieure, ton bagout, on ne t'avais pas tout à fait prise au sérieux et que toute ton existence s'était arrêtée sous le coup d'une arme blanche quand tu pensais, au contraire, avoir fait très exactement ce qu'il fallait pour te sortir de cet enfer-là.

Faire ce qu'il faut, n'est pas toujours la solution, faut croire.

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