mercredi, mai 03, 2017

Question de dignité

À mon arrivée sur le quai, celui-ci était déjà bondé et pourtant le tableau afficheur indiquait que le prochain train entrerait en gare seulement cinq minutes plus tard. C'était un jour de semaine quelque part entre 11h30 et midi, la foule était à la fois dense et bigarrée. Ce qui m'avait frappée, par ailleurs, ce n'était pas tant la densité, cela arrive souvent à ces heures comme si toute la population s'était donnée rendez-vous pour sortir dîner quelque part, et la pluie qui battait les pavés à l'extérieur coupait toute envie de faire une petite ou moyenne distance au grand air. Ce qui m'avait frappée, en réalité c'était l'ambiance anxiogène qui régnait sur le petit bout de quai sur lequel je m'étais arrêtée.

J'ai vite compris qui en était la cause. Un grand et beau jeune homme, entièrement vêtu de noir, avec à la taille le genre de linge que porte souvent les serveurs de restaurants chics. J'ignore quel était le point de départ de tout le tintamarre qu'il faisait, mais il haranguait copieusement une minuscule vieille dame qui semblait avoir peur de lui. Il parlait de propreté et d'estime de soi et visiblement tout le monde était aussi mal que la vieille dame et personne ne réagissait, moi comprise, ce dont je ne suis pas fière. La pauvre dame était avec une amie, tout aussi vieille qu'elle et elles se tassaient sur le bord du mur pendant que le jeune homme arpentait le bout de quai en vilipendant bien fort le mépris dont il se disait victime.

Sérieusement, j'étais figée, et j'avais peur. Comme tous les autres quidams assemblés sur la scène. Du coin de l’œil, j'avais vu une jeune fille, quatorze ou quinze ans, à vue de nez, prendre les jambes à son cou et se rendre vers le centre de la station. J'avais cru qu'elle fuyait la scène mais je m'étais trompée. Elle seule avait eu le courage de poser un geste, elle était allée chercher un couple de policiers qui étaient arrivés en moins de deux sur la scène. Ils avaient intercepté le jeune homme, tout à fait poliment tandis que le train entrait finalement en gare et que celui-ci déversait un certain nombre de ses passagers pendant que d'autres y entraient à la vitesse grand v, comme pour mettre le plus rapidement possible une distance entre les événements récents et leur personne.

Comme c'est souvent le cas, les jeunes personnes se sont précipitées sur les sièges vides et les deux dames qui s'étaient collées sur le mur se sont retrouvées debout au milieu de la foule. Ça me fâchait, mais comme je ne m'étais personnellement pas pressée pour rentrer dans le wagon, je n'avais aucun siège à offrir à personne. C'est une femme visiblement enceinte qui a proposé son siège à une des dame, celle qui avait été haranguée. La dame avait refusé, mais le premier geste avait comme réveillé les autres passagers et un jeune homme, que je croyais alors pris dans l'autisme de son téléphone, avait poliment proposé son banc. La dame l'avait regardé jusqu'au fond des yeux avant de lui répondre avec gentillesse : « Merci jeune homme, mais vous savez, pour l'instant, j'ai besoin de me tenir debout ».

Ce qu'elle avait fait, avec beaucoup de dignité.

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