Toquade imposée
Quelque fois, on loupe
son arrêt de métro parce qu'on est dans la lune, ou trop concentré
sur le livre que l'on lit. Ça m'arrive assez régulièrement et
quand je suis sur le chemin du retour, il existe à la station
suivante un autobus fiable que je peux prendre pour rentrer à la
maison. C'est plus long et j'ai une bonne petite marche à me taper
de l'arrêt à chez-moi, mais je perds beaucoup moins de temps à
suivre cet itinéraire qu'à revenir sur mes pas, surtout quand il
est pus de 21 heures le soir. Parce que c'est exactement ce qui m'est
arrivé ce soir, je me suis retrouvée plongée dans les
balbutiements de mon adolescence, devant une image vive d'une scène
que j'ai vécue il y a plus de 30 ans.
J'ai changé deux fois
d'école durant mon parcours secondaire. La première fois, j'étais
bien jeune et j'allais rentrer en secondaire 2. J'étais fébrile et
heureuse de ce changement à l'époque si je m'en rappelle bien.
Je ne connaissais pas encore les airs de la maison et on m'avait
désigné une porte comme celle de l'entrée des étudiants. C'était
donc vers elle que je me dirigeais par belle journée de fin d'été.
J'avais bien quelques appréhensions, je ne connaissais après tout
personne dans ma nouvelle école, mais comme je suis généralement
positive, il me semblait qu'il ne serait pas trop difficile de
rencontrer de nouvelles personnes et de me faire des amis. De fait,
je ne me trompais absolument pas à ce sujet précis.
J'étais
rendue à l'arrêt d'autobus du collègue quand un ado était
descendu dudit autobus me bousculant presque au passage, avançant
avec toute la confiance d'un ancien, mais arborant un visage qui
trahissait un très jeune âge. Il ne pouvait pas être bien plus
vieux que moi, je n'imaginais pas qu'il puisse être en secondaire
trois où quatre. Alors, j'avais décidé que je devais tomber
amoureuse de lui, prenant notre rencontre fortuite comme un signe. Il
n'était pas particulièrement beau, mais il répondait précisément
à l'idée que je me faisais de l'adolescent de mon âge duquel il me
semblait que je devais tomber amoureuse. Ce qu'il peut y avoir
d'étrange dans la cervelle d'une jeune fille... Et dire que je
trouvais cela normal.
Honnêtement,
lui ne s'était jamais rendu compte qu'il avait croisé ma route. Il
ne m'avait pas vue et ne s'apercevrait de mon existence que des mois
plus tard. Nous n'étions pas dans la même classe, ni même sur le
même étage. Et je n'étais pas une personne des plus populaires
tandis que lui faisait indéniablement partie de la gang de notre
année. Mes chances étaient donc très minces et de toute manière,
je sais très bien aujourd'hui que nous n'avions pas grand chose en
commun. Ma toquade auto-imposée aura duré presque toute cette année
scolaire-là.
Nous
n'avons jamais été amis lui et moi, mais on a bien fini par
échanger quelques mots de temps en temps. Au début, j'étais
impressionnée par ce que j'imaginais être lui. Et puis, je me suis
rendue compte qu'il n'avait pas une discussion très stimulante et
qu'il ne s'intéressait pas à grand chose en dehors du sport. C'est
avec cette expérience que j'ai appris les danger de se fabriquer un
personnage factice à partir d'une personne réelle.
Et
j'ai bien pris soin, par la suite, de rencontrer les gens dans ce
qu'ils sont avant d'en tomber amoureuse.
Libellés : Quand le passé me rattrape