jeudi, janvier 10, 2019

Toquade imposée

Quelque fois, on loupe son arrêt de métro parce qu'on est dans la lune, ou trop concentré sur le livre que l'on lit. Ça m'arrive assez régulièrement et quand je suis sur le chemin du retour, il existe à la station suivante un autobus fiable que je peux prendre pour rentrer à la maison. C'est plus long et j'ai une bonne petite marche à me taper de l'arrêt à chez-moi, mais je perds beaucoup moins de temps à suivre cet itinéraire qu'à revenir sur mes pas, surtout quand il est pus de 21 heures le soir. Parce que c'est exactement ce qui m'est arrivé ce soir, je me suis retrouvée plongée dans les balbutiements de mon adolescence, devant une image vive d'une scène que j'ai vécue il y a plus de 30 ans.

J'ai changé deux fois d'école durant mon parcours secondaire. La première fois, j'étais bien jeune et j'allais rentrer en secondaire 2. J'étais fébrile et heureuse de ce changement à l'époque si je m'en rappelle bien. Je ne connaissais pas encore les airs de la maison et on m'avait désigné une porte comme celle de l'entrée des étudiants. C'était donc vers elle que je me dirigeais par belle journée de fin d'été. J'avais bien quelques appréhensions, je ne connaissais après tout personne dans ma nouvelle école, mais comme je suis généralement positive, il me semblait qu'il ne serait pas trop difficile de rencontrer de nouvelles personnes et de me faire des amis. De fait, je ne me trompais absolument pas à ce sujet précis.

J'étais rendue à l'arrêt d'autobus du collègue quand un ado était descendu dudit autobus me bousculant presque au passage, avançant avec toute la confiance d'un ancien, mais arborant un visage qui trahissait un très jeune âge. Il ne pouvait pas être bien plus vieux que moi, je n'imaginais pas qu'il puisse être en secondaire trois où quatre. Alors, j'avais décidé que je devais tomber amoureuse de lui, prenant notre rencontre fortuite comme un signe. Il n'était pas particulièrement beau, mais il répondait précisément à l'idée que je me faisais de l'adolescent de mon âge duquel il me semblait que je devais tomber amoureuse. Ce qu'il peut y avoir d'étrange dans la cervelle d'une jeune fille... Et dire que je trouvais cela normal.

Honnêtement, lui ne s'était jamais rendu compte qu'il avait croisé ma route. Il ne m'avait pas vue et ne s'apercevrait de mon existence que des mois plus tard. Nous n'étions pas dans la même classe, ni même sur le même étage. Et je n'étais pas une personne des plus populaires tandis que lui faisait indéniablement partie de la gang de notre année. Mes chances étaient donc très minces et de toute manière, je sais très bien aujourd'hui que nous n'avions pas grand chose en commun. Ma toquade auto-imposée aura duré presque toute cette année scolaire-là.

Nous n'avons jamais été amis lui et moi, mais on a bien fini par échanger quelques mots de temps en temps. Au début, j'étais impressionnée par ce que j'imaginais être lui. Et puis, je me suis rendue compte qu'il n'avait pas une discussion très stimulante et qu'il ne s'intéressait pas à grand chose en dehors du sport. C'est avec cette expérience que j'ai appris les danger de se fabriquer un personnage factice à partir d'une personne réelle.

Et j'ai bien pris soin, par la suite, de rencontrer les gens dans ce qu'ils sont avant d'en tomber amoureuse.

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