jeudi, janvier 10, 2019

Toquade imposée

Quelque fois, on loupe son arrêt de métro parce qu'on est dans la lune, ou trop concentré sur le livre que l'on lit. Ça m'arrive assez régulièrement et quand je suis sur le chemin du retour, il existe à la station suivante un autobus fiable que je peux prendre pour rentrer à la maison. C'est plus long et j'ai une bonne petite marche à me taper de l'arrêt à chez-moi, mais je perds beaucoup moins de temps à suivre cet itinéraire qu'à revenir sur mes pas, surtout quand il est pus de 21 heures le soir. Parce que c'est exactement ce qui m'est arrivé ce soir, je me suis retrouvée plongée dans les balbutiements de mon adolescence, devant une image vive d'une scène que j'ai vécue il y a plus de 30 ans.

J'ai changé deux fois d'école durant mon parcours secondaire. La première fois, j'étais bien jeune et j'allais rentrer en secondaire 2. J'étais fébrile et heureuse de ce changement à l'époque si je m'en rappelle bien. Je ne connaissais pas encore les airs de la maison et on m'avait désigné une porte comme celle de l'entrée des étudiants. C'était donc vers elle que je me dirigeais par belle journée de fin d'été. J'avais bien quelques appréhensions, je ne connaissais après tout personne dans ma nouvelle école, mais comme je suis généralement positive, il me semblait qu'il ne serait pas trop difficile de rencontrer de nouvelles personnes et de me faire des amis. De fait, je ne me trompais absolument pas à ce sujet précis.

J'étais rendue à l'arrêt d'autobus du collègue quand un ado était descendu dudit autobus me bousculant presque au passage, avançant avec toute la confiance d'un ancien, mais arborant un visage qui trahissait un très jeune âge. Il ne pouvait pas être bien plus vieux que moi, je n'imaginais pas qu'il puisse être en secondaire trois où quatre. Alors, j'avais décidé que je devais tomber amoureuse de lui, prenant notre rencontre fortuite comme un signe. Il n'était pas particulièrement beau, mais il répondait précisément à l'idée que je me faisais de l'adolescent de mon âge duquel il me semblait que je devais tomber amoureuse. Ce qu'il peut y avoir d'étrange dans la cervelle d'une jeune fille... Et dire que je trouvais cela normal.

Honnêtement, lui ne s'était jamais rendu compte qu'il avait croisé ma route. Il ne m'avait pas vue et ne s'apercevrait de mon existence que des mois plus tard. Nous n'étions pas dans la même classe, ni même sur le même étage. Et je n'étais pas une personne des plus populaires tandis que lui faisait indéniablement partie de la gang de notre année. Mes chances étaient donc très minces et de toute manière, je sais très bien aujourd'hui que nous n'avions pas grand chose en commun. Ma toquade auto-imposée aura duré presque toute cette année scolaire-là.

Nous n'avons jamais été amis lui et moi, mais on a bien fini par échanger quelques mots de temps en temps. Au début, j'étais impressionnée par ce que j'imaginais être lui. Et puis, je me suis rendue compte qu'il n'avait pas une discussion très stimulante et qu'il ne s'intéressait pas à grand chose en dehors du sport. C'est avec cette expérience que j'ai appris les danger de se fabriquer un personnage factice à partir d'une personne réelle.

Et j'ai bien pris soin, par la suite, de rencontrer les gens dans ce qu'ils sont avant d'en tomber amoureuse.

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dimanche, mars 05, 2017

Trame sonore

Je ris souvent de mon accent quand je tente de parler une autre langue, particulièrement l'anglais qui est la seule autre langue que le français dans laquelle je puis soutenir une conversation. Mais je n'ai décidément pas les muscles buccaux assez travaillés pour y être bonne, c'est une vérité de la Palisse puisque dans ma bouche, white, right et write sonnent exactement de la même manière. Au moins, suis-je parfaitement capable de me faire comprendre et de comprendre mes interlocuteurs.

Ceci n'a cependant pas toujours été vrai. J'ai aimé des chansons, particulièrement à l'adolescence, sans en saisir le sens et sans trop me poser de question non plus. J'aimais la musique, c'étaient des pièces à la mode, c'était suffisant. Avec le temps, j'ai apprivoisé cette langue, je la lis bien, la parle convenablement, si on fait abstraction de l'accent et quelquefois même, le temps où je mes oreilles se mettaient systématiquement en mode absence quand on parlait anglais à côté de moi me manque. Aujourd'hui, je comprends aussi aisément une conversation dans cette langue que dans la mienne, à tout le moins dans les rues de Montréal.

Mon passé de joyeuse ignorante me revient néanmoins souvent au visage. Hier nous avions cette discussion à cause d'une chanson qui jouait à la radio du magasin. Je ne le connaissais pas du tout à l'énorme surprise des employés. C'était une ballade assez sirupeuse de celles dont sont friandes les pré-ados ou les très jeunes ados. Ça avait été populaire au début des années 2000, à peu près à l'époque ou j'étais personnellement en plein milieu du pays des zombies, ce qui fait que je n'étais pas du tout surprise d'avoir complètement loupé cet épisode musical. D'autant que je me suis débranchée des radios commerciales depuis bien avant cette date alors l'étendue de mon ignorance en musique pop anglo est plus que vaste.

Bref, une employée m'a alors dit qu'elle avait un attachement tout particulier à cette chanson parce qu'elle avait été la trame sonore de son premier slow et de son premier french. Tout naturellement elle m'a demandé quelle avait été la chanson pour moi. J'ai donc répondu que le premier slow était Careless whisper. J'allais laissé ça là sauf que je n'ai pas pu résister à la question muette des grands yeux verts qui me regardaient en attendant la suite. J'ai fini par dire que le premier french avait eu lieu sur Take my breath away et que ça avait été aussi agréable qu'un traitement de canal. Penchant la tête sur le côté gauche, l'employée m'a alors dit : « ah ben au moins, ça fite »

Et je me suis aperçue qu'elle avait raison. Je n'avais jamais associé la signification des mots du titre de la chanson avec les événements, parce qu'évidemment, dans ce temps-là, je n'avais absolument aucune idée de ce que ça voulait dire.

Comme quoi, dans la vie, parfois, les trames sonores sont aussi bien accordées à la réalité que dans les films, même si je sais fort bien qu'au sens figuré le titre de la pièce avait quelque chose beaucoup romantique que mon premier baiser mouillé.

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dimanche, novembre 29, 2015

Ses mains

C'était un de ces matins de fin de semaine où les transports en commun n'ont de commun que les quelques personnages aux yeux encore bouffis de sommeil qui se croisent sans trop se voir parce que la majorité d'entre eux a encore le souvenir de l'oreiller tout autour de la tête. Même les rues étaient d'un silence étrange, quasi paranormal. Dans mon trajet piétonier, pourtant assez long, je n'avais croisé aucun autre marcheur, aucun autobus et même pas une dizaine de voitures.

À Berri, le long corridor qui mène aux rails était désert. Mes pas résonnaient, faisaient échos à eux-mêmes me donnant l'impression que quelqu'un me suivait d'un peu trop près. Sur le quai, les quelques lèves tôt étaient largement dispersés, à peu près endormis sur leur siège où bien la tête solidement ancrée dans un livre où rivée à un quelconque bidule électronique.

Lorsque les portes du wagon se sont ouvertes, celui-ci était vide. Ou presque. Il n'y avait qu'une femme blonde assise sur le banc que je préfère. C'était en vérifiant si ce dernier était libre que je l'avait vue. Comme il me restait un bon nombre d'option, je n'ai pas fait de cas de la situation et me suis glissée dans ma deuxième meilleure option qui faisait face à l'autre passagère. En m'installant pour sortir mon livre je la voyais sans y porter vraiment attention, mais quelque chose dans la manière dont je l'ai vue remettre son fourbi dans son propre sac, a allumé une lumière dans ma mémoire.

Je connaissais ces gestes par cœur, j'en avais été immédiatement convaincue. Des gestes que j'avais appris au cours de mon troisième secondaire et qui m'avaient accompagnée, de plus ou moins près, jusqu'en 2004. Cette femme dont je n'avais pas croisé le regard puisqu'elle était descendue à la station suivant mon entrée, avait été ma meilleure amie pendant longtemps. Une amitié intense, parfumée d'absolus, de rires à en avoir mal aux côtes, de confidences, de malentendus et de chicanes épiques aussi, parfois.

Je pourrais croire que j'ai imaginé cette rencontre fugace où rien n'a été échangé. Il aurait été possible que ce soit un détour de mon imagination. Mais quand j'ai vu ses mains, j'ai su que ne n'errais pas. Des mains aux doigts longs et souples qui se meuvent d'une manière tellement particulière que j'ai déjà reconnue dans une gare d'un certain bout du monde, passablement bondée, par ces seules extrémités. Ce jour-là, ça nous avait fait bien rire car nous étions absolument convaincues que notre amitié traverserait toutes les guerres et nous amènerait un vieillissement parallèle.

Rien n'est moins vrai. Nous sommes toutes les deux tombées dans le pays des zombies, en même temps, ou à peu près, et il n'y a rien de pire pour couper les ponts, durablement.

Ce matin-là je l'avais regardée sortir sans avoir le temps de l'interpellée pour lui dire que j'étais-là. En me disant que ça avait vraiment été une belle amitié, mais que je n'avais pas envie de faire quoique ce soit pour retourner voir si j'y étais.

Un peu comme si notre amitié était tellement ancrée dans les extrêmes de l'adolescence que je ne voyais pas comment l'envisager, même de loin, dans mon âge adulte.

Et je ne m'en porte pas plus mal.

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mercredi, février 25, 2015

Mademoiselle Seize-ans-à-peine

Le problème avec les écrivaines compulsives de mon acabit, c'est qu'on garde tout ce que l'on a un jour écrit, à condition que ce soit possible. J'ai perdu tous mes cahiers verts (sortes de journaux intimes sans verrous dans lesquels j'accumulais les feuilles mobiles, remplis de grand n'importe quoi) à la suite d'une inondation de sous-sol. Alors, si par inadvertance, vous me renvoyez à une date très précise de mon passé, il est fort probable que celui-ci soit documenté, par mes soins.

Cette semaine, j'ai reçu un message de Mademoiselle Seize-ans-à-peine, qui les as depuis longtemps dépassés. Je l'appelais ainsi dans le message que je lui avais écrit pour son anniversaire. Petit mot doux, plein d'amour pour une amie qui m'étais très chère. Et tant qu'à revisiter mon adolescence, aussi bien le faire à la lumière de mes impressions d'ado. J'ai encore, tous mes journaux intimes. Et je viens de les relire. Donc Mlle Seize-ans, a retrouvé un truc que je lui ai offert pour son anniversaire, dans lequel j'avais mis une dédicace, qu'elle a photographiée pour me la faire parvenir.

J'ai été touchée. Qu'elle ait conservé cela, d'une part, et de ma généreuse naïveté, d'autre part. Bien entendu, j'ai des souvenirs, mais on s'entend, la mémoire est faillible. Alors relire mes mots, mes émotions, la personne éminemment pétillante que j'étais, ça me remet au diapason de mon propre chemin de vie.

Je ne me souviens plus très exactement de quelle manière j'ai rencontré cette fille. Mes journaux sont de pauvres sources, en ce domaine. Elle y apparaît, un moment donné en 1988 comme faisant partie de ma vie. Ce que je sais, par contre, c'est que le premier jour de mon secondaire cinq, elle était à mes côtés pour aller à l'école : ma première journée dans ce nouvel environnement, parce que j'avais été renvoyée de l'école privée que je fréquentais auparavant, pour cause de maths en déficience.

C'était une fille relaxe. Contrairement à mes amies de l'autre école, elle n'était pas première de classe à tout prix. Si par hasard, elle obtenait de bonnes notes, elle les gardait pour elle. Ce n'était pas l'important. Ce qui comptait, à ses yeux, c'était le cœur. Et du cœur, elle n'en a jamais manqué; il était tatoué sur ses mains. Bien évidemment, si vous me m'offriez un cœur et une oreille à cette époque de ma vie, j'étais intarissable. Pauvre Mlle Seize-ans, elle a été le déversoir de beaucoup trop de choses pour une seule âme. Mes excès l'amusaient et la laissaient rêveuse, je crois.

On s'est perdues de vues lorsque je suis partie étudier à Sherbrooke, mais je crois que c'est la dernière personne de cette époque que j'ai vue, de temps à autres, après mon départ. Aujourd'hui, elle ne reste plus à Montréal, mais elle me lit. Je le sais parce qu'elle me dit de ne jamais cesser d'écrire. Elle qui était-là au tout début de mes balbutiements sur ce thème et qui peut en mesurer l'évolution. Elle dont l'existence se situe quelque part au nord de la mienne, mais qui prend encore le temps de se pencher sur mes mots, pour les parcourir et les commenter.

Pendant de longues années, j'ai eu le sentiment que les seuls souvenirs que je laissais derrière moi étaient ceux de mes manquements ou de mes erreurs. À trop vouloir me protéger des déceptions que je pourrais avoir causées, je m'emmurais dans la fuite vers l'avant.

Depuis octobre, je permets au passé de revenir à moi, et franchement, j'y ai vécu les plus beaux instants des dernières années.

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dimanche, décembre 21, 2014

Le jour le plus court

Il y a quelques temps, j'ai fait le portrait de ce garçon là. Je ne savais pas, à ce moment-là, que j'avais eu l'idée, un peu folle, de redevenir amie avec un espèce de canidé qui vit en meute et qui n'a de cesse de retrouver les enfants perdus qui ont, un jour, fait partie de sa meute à lui. L'air de rien, me voilà donc une enfant perdue qu'il ramène dans son bercail

Il m'a invitée à un souper de pré-Noël sans prétention. Au milieu de sa meute éclectique. Ils sont des loups, des coyotes, des ours ou des chiens de berger. Différents, mais semblables en même temps. Vous me direz que l'ours n'est pas dans la bonne liste, ou le chien, c'est selon. Cette meute est ainsi faite, je n'ai pu que l'observer. C'est une meute d'hommes avec beaucoup de femmes et de filles qu'ils y ont intégrées avec les années. Et si je ne les connais pas, elles, elles me semblaient aussi inhérentes l'ensemble, que les mecs dont je vais tracer ici le portrait.

Le loup est un charmeur, impénitent. Il l'a toujours été. Je le connais depuis presque aussi longtemps que là où me mène ma mémoire, qui est longue. J'ai de lui des souvenirs de petite enfance. Des souvenirs d'une espièglerie sans faille, de rires vrais et sans retenue. J'ai des réminiscences, plus rares, de discussions sérieuses, après une rupture qui l'avait laissé en porte-à-faux à l'orée de sa propre existence. Et je l'ai vu être totalement identique à lui-même avec ses filles qu'il couve d'un regard amène et sans jugement pour ce qu'elles sont, ou deviendront. Si vous lui confiez vos inquiétudes, il ne vous rassurera pas, que vous soyez son amoureuse, sa fille ou l'amie sortie de nulle part. Ce n'est pas son style. Mais il vous regardera de travers l'air de dire : « j'ai compris ». C'est suffisant pour beaucoup d'entre-nous, je crois.

Le chien de berger, m'a reconnue à la seconde où ses yeux se sont posés sur moi. Pas tant parce que nous avions un jour partagé quoi que ce soit, en réalité. Non je crois qu'il m'a reconnue parce que j'étais la fille à qui ce garçon-là parlait autrefois. Sans plus ni moins. Et aussi parce qu'il est, peut-être, le deuxième plus grand fan de Pierre Richard à ma connaissance, particulièrement en ce qui concerne le film « La chèvre ». Je les ai tellement vu rire ce film, lui et ce garçon-là, en se le racontant tant et tant. Je crois que c'était nettement plus drôle de les écouter en parler que de voir le film en tant que tel.

Le coyote, ben c'est un coyote. Il est sans doute le plus intelligent d'entre-nous, mais le plus rétif aussi. C'est dans sa nature, je crois. Il est sans conteste un peu plus sauvage que les autres. Mais, selon ce que j'ai pu en voir, il est au moins aussi fidèle que toutes les parties de cette meute. Sans quoi, il n'aurait pas été présent. Je me rappelle de jugements sans concession, de talents allant dans toutes les directions et de beaucoup d'autodérision.

L'ours, c'est celui que je connais le moins. Mais il a vite compris, hier, qui je suis. C'est celui qui m'a dit : « Tu écris, je crois », deux fois plutôt qu'une. Sentant, sans doute, que ça m'est important. C'est lui qui m'a ramenée dans les ornières qui me permettraient de retrouver mon chez-moi. Je suis une petite bête qui ne possède pas de permis de conduire, alors la voiture, c'est hors de question. J'ai donc besoin de la meute pour retrouver les wagons des métros qui me permettent d'arriver à bon port.

C'est une belle meute, avec laquelle j'ai eu la chance de partager le jour le plus court, ou presque, de l'année. Et je me compte chanceuse de ne pas m'être fait mordre parce que je serai toujours un félin qui taquine les canidés, ou les ursidés, à mes risques et périls.

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mardi, novembre 25, 2014

Première rencontre

J'ai été une enfant qui adorait jouer à la poupée. Ma sœur, en a d'ailleurs été passablement victime. Pauvre elle, avec les presque dix ans qui nous séparent, je me suis gâtée. Elle a été ma première poupée vivante. Et elle sentait si bon le bébé.

Après la naissance de ma sœur, ma mère a entrepris de devenir sage-femme. À une époque où cette profession était en marge de la légalité. Je me rappelle de discussions acrimonieuses, avec mes collègues de classe à l'école secondaire, sur la légalisation de la profession. J'ai toujours été assez articulée dans mes opinions et je ne me laissais pas abattre par les majorités écrasantes.

Quelquefois, ma mère recevait à la maison des groupes de rencontres post-natales. Un jour qu'il y en avait une chez-nous, j'ai avisé un cousin de ma mère que je voyais rarement, mais avec lequel j'avais beaucoup de plaisir à discuter. Lui et son amoureuse avaient l'air complètement dépassés par leur vie de nouveaux parents. Parce que je suis ce que je suis et que j'adore les bébés, je me suis permise, de lui demander si je pouvais prendre sa fille. Cette toute minuscule fillette qui avait, selon mon souvenir, 5 semaines, à l'époque. La petite personne en question avait (toujours selon mon souvenir qui peut être tout à fait imprécis puisqu'il remonte à 25 ans aujourd'hui), l'air particulièrement en colère. Les parents, hagards, m'ont dit oui.

J'ai pris la petite boule chaude qui hurlait à perdre haleine, même si sa couche était propre et son petit estomac bien gavé, je l'ai posée sur mon cœur et je suis allée m'asseoir avec elle. Ça ne faisait pas deux minutes qu'on était installées qu'elle s'était endormie. Je lui ai raconté toutes sortes d'histoires pendant son sommeil. J'avais un public conquis pour mes rêves éveillés. Mon imagination débordante était donc comblée.

Je ne sais pas combien de temps la petite a dormi sur mon cœur. Quelques heures, peut-être. Toujours est-il que ce n'était pas dans ses habitudes, semblerait-il, de dormir si longtemps. Le papa dépassé, à la fin de la réunion, m'a demandé comment j'avais fait. Et du haut de ma très grande naïveté d'adolescente de seize ans, je lui ai répondu : « Ben rien, je lui ai fais confiance, c'est tout ».

En fin de semaine, j'ai pris un café avec elle et une de ses cousines immédiates. Je lui ai raconté cette histoire, qu'elle a trouvé jolie. Ce sont elles qui m'ont tendu la main à travers les années. Je ne les connais pas beaucoup, elle ne me connaissent pas davantage. Mais je crois que nous partageons, en dehors d'une parenté éloignée, un intérêt pour l'humain. Nous avons donc transformé, à trois, un jour de novembre morne et gris en quelque chose qui peut s'approcher du vivant.

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lundi, mars 26, 2007

Les nouveaux voisins

J'avais quatre ans. Mon amie des deux dernières années avait quitté la maison qui jouxtait la nôtre depuis quelques jours, mais ça me paraissait une éternité. Je savais, puisqu'on me l'avait expliqué, qu'il s'agissait d'un déménagement tout bête, mais à cette époque, pour moi, c'était beaucoup plus que cela : c'était un bouleversement de mon environnement. Il n'y avait pas de clôture entre les cours, seulement deux ou trois bouquets de cèdre qui délimitaient les territoires. J'avais déjà l'habitude de passer d'un endroit à l'autre, en traversant des frontières imaginaires. L'ensemble formait déjà mon territoire. Ma mère m'avait dit que ce serait sans doute différent avec les nouveaux voisins. Que l'autre maison n'était pas la mienne et que je ne pourrais pas nécessairement continuer à y entrer comme bon me semblerait.

Par un beau matin ensoleillé, une voiture s'est stationnée derrière un gros camion. Moi je faisais semblant de m'affairer devant la maison. Je crois que j'étais très préoccupée par l'état de santé d'une de mes poupées. Aussi subtilement qu'une fillette de quatre ans puisse le faire, j'ai observé l'arrivée des nouveaux habitants de la maisons verte. Tout d'abord, un grand monsieur, fier et digne a émergé du véhicule. Puis une toute petite femme, au sourire rassurant en est sortie à son tour et enfin un cortège de fillettes. Trois, pour être précise. Dont une qui avait l'air d'avoir mon âge. J'étais sauvée : le hasard avait troqué une amie pour une amie. Je n'ai pas douté un seul instant de l'issue de cette rencontre. Forcément, si la fillette avait mon âge, elle serait mon amie. J'ai donc vaillamment traversé la pelouse et je suis allée me présentée. Pour me faire rabrouer rapidement par le grand monsieur. Ce n'était pas méchant, simplement un peu sec, parce que les filles avaient à transporter encore quelques affaires dans la maison, après quoi, seulement, elles pourraient jouer.

J'ai vite compris que ma mère avait eu raison, mon terrain de jeu s'est mis à rapetisser comme une peau de chagrin. De notre côté de la haie, les jouets jonchaient le sol comme des feuilles à l'automne. La piscine que nous possédions attirait une ribambelle de bambins de tous âges, le gazon tournait à la terre un peu partout. De l'autre côté, c'était un jardin luxuriant, une belle balançoire toisait le terrain tandis que des fleurs et un plan d'eau avaient allègrement poussé. L'homme, prenait un soin jaloux de son terrain, sur lequel nous avions le droit de jouer, mais plus calmement que de notre côté de la haie. On le voyait tout le temps à bichonner sa verdure, à rendre service à tous ceux qui le demandaient. C'était un homme du dehors, que l'hiver ne freinait pas. Il aidait à déneiger les entrées et nous permettait de nous créer de formidables forteresses dans les bancs de neige savamment disposés dans des endroits stratégiques pour qu'ils ne soient pas ramassés par la voirie lors du déneigement. Je me rappelle l'avoir vu courir à ma rencontre après une de mes chutes à bicyclette, lorsque, trop hardie, je m'étais lancée sans mes petites roues sur la chaussée encore mouillée par les pluies printanières. Dans son regard inquiet, je voyais bien que ma santé lui importait.

J'ai quitté le domicile familial il y a près de quinze ans. Je n'ai pas revu ce voisin depuis ce temps. Sinon, une ou deux fois, par hasard, devant sa maison lorsque j'allais visiter mes parents. Quoiqu'il en soit, le souvenir tenace de l'homme bon qui avait aménagé avec toute sa famille à côté de chez-moi a perduré à travers le temps. J'ai su mercredi dernier qu'il était décédé. Je suis allée au Salon funéraire avec ma mère et ma soeur, pour les filles. Elles étaient heureuses de me voir, malgré le temps et le silence. Dans la bière ouverte, j'ai vu le visage serein d'un homme qui avait bien vécu. Il était identique à mon souvenir et lorsque je me suis approchée, j'ai cru le voir sourire.

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mardi, janvier 23, 2007

De rides en souvenirs

Tu as dit : « Je cherche les livres de Guy Gavriel Kay, en anglais. » La question était pour moi, quoique adressée à un collègue. Je suis restée saisie, cachée derrière mon chariot. Un adolescent évanoui dans des souvenirs perdus. Là, juste devant moi. Même corps dégingandé, même sourire cassé sur une dent jamais réparée. Alors j'ai dit : « Salut. » Tu ne t'étais même pas tourné vers moi que déjà tu avais reconnu ma voix. L'étincelle de tes yeux s'est allumée pour moi comme elle le faisait lorsque tu venais traîner tes heures dans le club vidéo où je travaillais. On s'est enfoncé dans le ventre de la librairie, loin des bruits du comptoir, pour que je te montre les livres que tu étais venu chercher. Pris dans un cocon hors du temps. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, tu as fait le tour des questions importantes. Sans concession à la bienséance, encore moins aux apparences. Des questions comme des flèches au coeur de l'authenticité. Je me rappelais en rafale, ces discussions sans fin dans les parcs qui nous ont vu grandir, cette faculté d'aller droit au but qui faisait peur à bien des gens autour de nous. Sans passé ni présent. Toi et moi, simplement.

J'avais envie de te dire que tu ressemble à ton père. Les même rides autour du sourire et des yeux. Je me suis retenue parce que me rappelais que cet homme était mauvais. La différence entre toi aujourd'hui et le souvenir que je garde de lui c'est que tu n'empestait pas l'alcool comme il le faisait toutes les fois où je le croisais. Combien de fois es-tu venu le chercher au vidéo parce qu'il était trop con? Je ne sais plus. Je n'ai jamais su, je n'avais pas fait le compte à l'époque. Mais je sais qu'il était déséquilibré. Il me disait des choses que j'aurais préférer ignorer, sur toi, tes frères, ta mère. Sur moi comme femme. Il posait sur ma peau un regard lascif qui me salissait à tout coup. J'avais envie d'hurler, engoncée dans mon mur de virginité qu'il écrasait de ses commentaires grivois. Je n'avais pas peur de lui, mais je ne l'aimais pas. Et tu arrivais, penaud, l'excusant de ton mieux et culpabilisant ses fautes. Comme si tu en étais responsable. Tu ne l'étais pas.

Tu le ramenais à la maison et tu revenais me chercher plus tard pour qu'on écume ensemble les pavés du quartier. Tu pleurais parfois la honte. Tu t'excusais tout le temps. J'étais muette devant cette douleur que je ne comprenais pas. Je venais de la ouate des enfants protégés. Tu étais né à l'autre bout du prisme. Dans le danger. On s'asseyait sur la terre battue, sous les branche de ce buisson immense qui nous cachait des regards indiscrets. Alors je glissais ma main dans tes cheveux, sans parole. Et nous laissions couler tes larmes dans les sillons de tes joues trop creusées. Tu t'en voulais pour ce père que tu n'avais pas choisi. Tu t'en voulais pour les souillures que ses paroles me laissaient sur le corps et sur l'innocence aussi. Tu prenais ma main dans la tienne, grande et calleuse, comme si j'étais celle qui avait besoin de réconfort.

Quelquefois, lorsqu'il n'était pas soûl, ton père m'invitait chez-vous, pour après l'école. Je n'ai jamais vu l'intérieur de ta maison, tu m'en as toujours protégée. Je t'en remercierai toute ma vie. Je ne comprenais pas vraiment quel était le danger, mais tu savais. Tu aurais levé une armée pour moi. Tu te serais démené en fou pour que je ne connaisse jamais cette vie qui était la tienne. Mais tu m'en parlais beaucoup. Dans tes gestes et dans tes silences. Tu me disais l'innommable. Entre deux larmes. Et puis tu es tombé amoureux de moi. Et j'ai eu peur. Parce que je ne pouvais pas t'aimer assez pour te protéger de cette vie qui t'avais malmené. Parce que mon refus te ferais mal. Je le savais. Mais je t'ai tout de même dit que je n'étais pas amoureuse de toi.

C'était le tout dernier jour de l'école secondaire. J'ai continué mon chemin sans te regardé. On ne s'est plus jamais revu après. Et tu es apparu dans mon monde sécurisé, surprenant mes souvenirs avec la violence de mes émotions adolescentes. Je suis retournée au comptoir pour répondre au prochain client et lorsque j'ai regardé dans ta direction tu avais disparu, comme je l'avais fait, vingt ans plus tôt.

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