La fille
Quand j'étais
adolescente, peut-être même pré-adolescente, le Québec a été
balayé par une vague qui s'appelait RBO. Je ne les ai pas connu à
la radio, mais je les écoutais régulièrement à la télévision,
fascinée, comme bien d'autres par leur irrévérence généralisée.
Je pourrais même ajouter que j'ai compris certaines choses de la
société dans laquelle je m'inscrivais en regardant les caricatures
que ce groupe en faisait. Beaucoup de mes connaissances étaient
capables, à l'époque, de citer des sketchs complets dans l'ordre ou
dans le désordre des épisodes récemment passés à la télé.
Bref, ils étaient
incontournables dans notre environnement culturel, tout le monde les
connaissait et même si dans la chanson d'ouverture on disait que
c'était un groupe de 5 garçons, tous savaient qu'il y avait un
fille dans le groupe; elle était LA
fille de RBO.
La fille en question,
Chantal Francke, visite le magasin ou je travaille depuis son
ouverture. Je l'ai reconnue la première fois où elle y a mis les
pieds. Comment faire autrement quand on a mon âge et qu'on a vécu
toute sa vie au Québec? Impossible. Elle n'est pas la seule
personnalité connue qui viennent faire son tour d'ailleurs, beaucoup
de musiciens dans le vent ont captés qu'on est encore juste assez
peu connu du grand public pour que ce soit facile pour eux de venir
chercher leur cordes de guitare en toute discrétion. La plupart du
temps, je joue le jeu de l'innocence. Je sais très bien qui est
devant moi, mais je m'abstiens de tout commentaire. Après tout, ces
gens ont aussi droit à une vie privée et ils devraient pouvoir
faire leurs courses sans se faire agresser par des groupies de mon
acabit.
Mais dans le cas de
Chantal Francke, je sais que je suis la seule personne du magasin à
savoir qui elle est. La plupart des employés sont très jeunes, ils
pourraient être mes enfants. Comme elle n'a pa continué à faire un
métier public, elle s'est progressivement effacée de la mémoire
collective, et je pense qu'elle ne s'en porte pas plus mal, que
peut-être c'est beaucoup par choix qu'elle s'est faite très
discrète dans l'espace public.
Toujours est-il que je
l'ai servie cette semaine et que comme elle faisait une partie de ses
courses de Noël, c'était plus long que ses passages habituels. Il
n'y avait pas grand monde, ce qui nous a permis une discussion à
bâtons rompus, comme si nous étions de vieilles copines. Je me suis
arrangée pour lui faire comprendre que je savais qui elle était et
elle m'a regardée franchement surprise avant de m'avouer qu'il était
très, très rare que quelqu'un la reconnaisse aujourd'hui. Je lui
alors dit mon âge, expliqué l'importance de son ancien groupe dans
mon espace culturel adolescent, ce qui l'a bien amusée. Puis, je lui
ai dit que ce n'était pas la première fois dans ma vie que je la
servait dans mon travail puisque je l'avait déjà abonnée à un
club vidéo de quartier, sans doute 30 ans plus tôt.
Évidemment, qu'elle ne
se souvenait pas de moi à cette époque, mais elle s'est franchement
bidonnée quand je lui ai dit à quel point j'étais impressionnée,
à l'époque, d'avoir fait son abonnement. Elle m'a dit : « Je
vous regarde-là, pis vous n'avez pas l'air d'être sur le bord de
perdre connaissance! » Avant d'ajouter : «Heureusement,
d'ailleurs, parce que que je ne suis qu'une femme ». L'humour
ironique qui avait fait la marque du groupe, juste pour moi. Dans un
clin d'oeil je lui ai réorqué : « La femme de
quarante-cinq ans que je suis le comprend très bien, mais la jeune
fille de 16 ans de l'époque, vous voyais sans doute une peu plus
grande que nature et se plaisait sans doute beaucoup à vivre une
émotion aussi forte ». Elle s'est mise à rire en me lançant
un « au revoir » bien senti avant de gagner la sortie.
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