dimanche, décembre 09, 2018

La fille

Quand j'étais adolescente, peut-être même pré-adolescente, le Québec a été balayé par une vague qui s'appelait RBO. Je ne les ai pas connu à la radio, mais je les écoutais régulièrement à la télévision, fascinée, comme bien d'autres par leur irrévérence généralisée. Je pourrais même ajouter que j'ai compris certaines choses de la société dans laquelle je m'inscrivais en regardant les caricatures que ce groupe en faisait. Beaucoup de mes connaissances étaient capables, à l'époque, de citer des sketchs complets dans l'ordre ou dans le désordre des épisodes récemment passés à la télé.

Bref, ils étaient incontournables dans notre environnement culturel, tout le monde les connaissait et même si dans la chanson d'ouverture on disait que c'était un groupe de 5 garçons, tous savaient qu'il y avait un fille dans le groupe; elle était LA fille de RBO.

La fille en question, Chantal Francke, visite le magasin ou je travaille depuis son ouverture. Je l'ai reconnue la première fois où elle y a mis les pieds. Comment faire autrement quand on a mon âge et qu'on a vécu toute sa vie au Québec? Impossible. Elle n'est pas la seule personnalité connue qui viennent faire son tour d'ailleurs, beaucoup de musiciens dans le vent ont captés qu'on est encore juste assez peu connu du grand public pour que ce soit facile pour eux de venir chercher leur cordes de guitare en toute discrétion. La plupart du temps, je joue le jeu de l'innocence. Je sais très bien qui est devant moi, mais je m'abstiens de tout commentaire. Après tout, ces gens ont aussi droit à une vie privée et ils devraient pouvoir faire leurs courses sans se faire agresser par des groupies de mon acabit.

Mais dans le cas de Chantal Francke, je sais que je suis la seule personne du magasin à savoir qui elle est. La plupart des employés sont très jeunes, ils pourraient être mes enfants. Comme elle n'a pa continué à faire un métier public, elle s'est progressivement effacée de la mémoire collective, et je pense qu'elle ne s'en porte pas plus mal, que peut-être c'est beaucoup par choix qu'elle s'est faite très discrète dans l'espace public.

Toujours est-il que je l'ai servie cette semaine et que comme elle faisait une partie de ses courses de Noël, c'était plus long que ses passages habituels. Il n'y avait pas grand monde, ce qui nous a permis une discussion à bâtons rompus, comme si nous étions de vieilles copines. Je me suis arrangée pour lui faire comprendre que je savais qui elle était et elle m'a regardée franchement surprise avant de m'avouer qu'il était très, très rare que quelqu'un la reconnaisse aujourd'hui. Je lui alors dit mon âge, expliqué l'importance de son ancien groupe dans mon espace culturel adolescent, ce qui l'a bien amusée. Puis, je lui ai dit que ce n'était pas la première fois dans ma vie que je la servait dans mon travail puisque je l'avait déjà abonnée à un club vidéo de quartier, sans doute 30 ans plus tôt.

Évidemment, qu'elle ne se souvenait pas de moi à cette époque, mais elle s'est franchement bidonnée quand je lui ai dit à quel point j'étais impressionnée, à l'époque, d'avoir fait son abonnement. Elle m'a dit : « Je vous regarde-là, pis vous n'avez pas l'air d'être sur le bord de perdre connaissance! » Avant d'ajouter : «Heureusement, d'ailleurs, parce que que je ne suis qu'une femme ». L'humour ironique qui avait fait la marque du groupe, juste pour moi. Dans un clin d'oeil je lui ai réorqué : « La femme de quarante-cinq ans que je suis le comprend très bien, mais la jeune fille de 16 ans de l'époque, vous voyais sans doute une peu plus grande que nature et se plaisait sans doute beaucoup à vivre une émotion aussi forte ». Elle s'est mise à rire en me lançant un « au revoir » bien senti avant de gagner la sortie.

Libellés :