dimanche, décembre 02, 2018

Famille buissonnière

J'attendais l'autobus depuis quelque chose comme une minute quand un petit bout de femme (déjà que je ne suis vraiment pas grande, lorsque je dépasse mon interlocutrice de presque une tête, on parle d'un petit bout de femme) m'avait abordée : « L'autobus? Il passe dans cinq minutes ou moins? » J'avais regardé ma montre avant de lui affirmer que l'autobus devait arriver d'ici cinq minutes effectivement. La dame avait poussé un long soupir avant de me dire qu'elle s'était pointée à l'arrêt à 8h30 avant de s'apercevoir qu'elle en venait de manquer le passage du précédent. Puis, elle avait ajouté avec un sourire en coin : « mais je me suis sauvée sans regarder l'horaire... »

Parce qu'elle était souriante, pétillante et fort sympathique avec son accent chantant j'avais demandé pourquoi. Elle avait répondu à peu près ceci: « Tu vois, ma petite fille, je suis italienne et j'ai 64 ans. J'ai trois fils, dont un qui vit au-dessus de chez-moi. Je crois que je les ai trop gâtés eux et mon mari parce que tous s'attendent tout le temps à ce que je m'occupe de tout dans la maison. Mais je travaille moi, à temps plein toute la semaine. Ça ne change rien, ils débarquent tous la fin-de-semaine, avec leurs femmes et les enfants et il faut que je fasse un gros souper pour tout le monde. Et quand je demande de l'aide, ils me câlinent et me disent tous que personne le fait bien comme moi. Mais, je suis fatiguée et j'ai décidé d'avoir un jour de congé ».

J'étais amusée. Je ne doutais pas un instant qu'elle disait vrai ni qu'elle soit fatiguée, même si en toute honnêteté elle semblait avoir de l'énergie à revendre. En contre-partie, je pouvais tout à fait comprendre qu'elle en avait plus qu'assez de servir tout son monde tout le temps. Je lui avais alors demandé qu'est-ce qu'elle comptait faire de son congé.

« Oh, je vais faire les courses, c'est bien entendu, parce que demain on est dimanche et que le dimanche c'est sacré et on aura un souper de famille. Après mes courses, je vais aller chez ma sœur, elle ses brus son Québécoises, alors elle a de l'aide quand elle reçoit, ce qui n'est pas mon cas. Alors, quand je suis fatiguée, elle m'aide à son tour et me permet de cacher mon épicerie chez-elle sans avoir à rentrer chez-moi. Ensuite, je vais aller au cinéma puis je vais aller souper avec des copines du travail ».

Elle me racontait tout cela l'air coquin. J'avais l'impression d'écouter une adolescente qui tentait de s'affranchir des décrets parentaux. C'était peut-être un peu vrai du reste, elle semblait réellement en réaction à sa famille et son milieu. J'avais le sentiment que quoiqu'elle dise, elle ne se sentait pas écoutée et encore moins comprise. Juste avant que l'autobus n'arrive elle m'avait avoué : « Et puis, je suis fâchée contre mon mari, il a dit à mon fils que nous pourrions gardé sa fille après-midi, mais ça, ça veut dire que c'est moi qui la garde parce que mon mari, lui, ne change pas ça une couche. J'ai bien hâte de voir comment il se sera débrouillé après ma fuite. Mais en attendant je vais profiter de ma journée ».

Je l'avais aidée à grimper dans l'autobus en souriant et en lui souhaitant la meilleur journée de famille buissonnière possible. Elle m'avais renvoyé un sourire absolument ravie, heureuse, je crois, de s'être sentie entendue...

Libellés :