mardi, novembre 15, 2005

Entre chien et loup

C’était entre chien et loup. Cette heure de la brunante lors de laquelle les traits deviennent flous. On ne sait plus trop qui se dresse devant nous, même dans l’électrique des villes. Nous étions à gigoter dans la brise de novembre, toutes deux mal emmitouflées dans nos foulards et nous parlions de liberté en regardant le rougeoiement de nos cigarettes, étirer le temps sur la nuit tombante. Sur la rue St-Denis, les passants se faisaient rares et pourtant la température clémente nous avait laissé croire que le magasin serait super occupé. Nous nous étions trompées et trompions l’ennui en se racontant des bêtises d’un bout à l’autre du plancher, sous le regard réprobateur, mais amusé, de nos collègues de travail. Au dehors, durant cette pause méritée, nous rigolions en silence de nos travers respectifs, de nos amours impossibles et de nos aspirations à ce sujet.

Nous savions toutes les deux que nous n’avions pas mis les balises aux bonnes places pour se sentir en liberté. Des choix faits, longtemps auparavant comme autant d’entraves sur nos gestes. Et toujours cette peur et cette culpabilité qui jalonnaient nos parcours. Plus que tout, nous savions que nous nous laissions aimer mal. Parce que nous avions trop peur du vide pour nous permettre de nous retrouver toutes seules. Nous savions que nous aimions mal parce que nous avions choisi les hommes dans notre vie sous prétexte qu’ils étaient amoureux de nous et non l’inverse. Pour une raison étrange, il nous est apparu clairement ce soir-là, durant cette conversation suspendue dans les condensations de novembre, que nous commettions une erreur magistrale dans la manière de vivre nos vies.

Elle a ouvert son cellulaire pour lui dire qu’elle ne serait plus celle qu’il attendait, mais plutôt celle qu’elle aspirait à être. Moi, j’ai composé une lettre sur le coin de la fenêtre que j’enverrais sitôt arrivée à la maison. Avec cet étrange sentiment de liberté qui me gagnait le ventre, cette intuition que je faisais ce que je devais. Puis j’ai composé une autre lettre, celle que j’aurais dû écrire depuis des mois pour avouer à un autre, qu’en fait, il était celui que j’aimais. Sachant pertinemment qu’il ne m’aimait pas en retour. Et cet acidulé de bonheur qui envahissait ma bouche parce que j’étais enfin en accord avec moi.

C’était entre chien et loup, cette heure de la brunante lors de laquelle les traits deviennent flous. Le ciel, au dessus de nos têtes, encore outremer virait à l’indigo.

Nous sommes entrées dans la librairie, certaines que les neiges à venir ne nous ensevelliraient plus.

6 Commentaires:

Blogger Pitounsky s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Dire à celui que l'on aime combien notre coeur bat pour lui. Le lui dire même si son coeur bat pour une autre que nous. C'est un beau geste. Parce que le taire ne sert à rien d'autre que de se sentir prisonnier de ce secret. Et parce que l'on ne devrait jamais dire Je t'aime à quelqu'un seulement que dans l'espoir que ce sentiment soit partagé. L'amour est trop précieux pour être gardé au fond de nous.

10:31 a.m.  
Blogger Magenta s'est arrêté(e) pour réfléchir...

La décision d'agir repose sur nous seulement. La meilleure façon de se sentir en paix c'est d'avoir utilisé ce pouvoir, au lieu d'avoir été un spectateur.

11:08 a.m.  
Blogger Jay s'est arrêté(e) pour réfléchir...

En fait, j'aurais dit ceci quand même:
(silence)
(sourire)
(silence)

9:11 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Yurlp les filles! Quels commentaires!

Pitounsky : "on ne devrait jamais dire Je t'aime à quelqu'un seulement que dans l'espoir que ce sentiment soit partagé". Tout y est. Surtout qu'une fois qu'on a admis, c'est tellement plus facile de passer à autre chose. C'est comme pour la jalousie et autres petites mesquineries de la vie : une fois admises elles perdent de la priorité.

Magenta : Utiliser le pouvoir d'agir... Des fois, c'est davantage suivre une impulsion jusqu'au bout de soi, pour survivre.

Utopiaque : Les sentiments ne sont pas une prison. Il faut cesser de se croire en danger lorsqu'on les accepte. Je ne me suis jamais sentie aussi libre que cet après-midi où j'ai écrit cette foutue lettre. Après, les choses on tranquillement repris leur place dans ma vie et je me suis sentie capable d'écrire, de rire et d'être.

Jay : Les hommes qui savent écouter les femmes en silence, mais avec un regard attentif, ont tendance à demeurer mes amis longtemps...

9:39 a.m.  
Blogger La Dame du Lac s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Beau texte Mathilde...
(Ça me rappelle étrangement certaines personnes de ma connaissance...)

1:38 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Laurie, je ne vois pas de quoi tu parles... Pfff! Je trouve que tu es bien présomptueuse de croire quet peux connaître des gens à la libraire où je travaille...

9:01 a.m.  

Publier un commentaire

<< Retour sur le sentier