Le vieux couple
En me rendant à cet estaminet, je sais que tu marcheras à ma gauche. Parce que tu te positionnes toujours du côté de la rue, comme pour me protéger d’une attaque possible, d’un dérapage, d’une collision imprévue. À chaque coin de rue, tu me prendras la main pour me faire passer la chaîne en douceur, me donnant à chaque fois l’impression de revenir à une époque où les régulations sociales faisaient que les femmes étaient traitées en princesses de porcelaine. Je te sourirai et tu me le rendras. Autour de nous, les passants nous regarderont, touchés par cette intimité. Tu me feras passer devant toi, en posant ta main sur mes reins, discrètement, pour me soutenir durant le chemin à parcourir.
Tu nous choisiras une table à droite de l’entrée le plus près de la fenêtre possible. Tu approcheras ma chaise en me glissant une blague à l’oreille et tu écouteras attentivement mon rire pour en savourer toute la sincérité. Tu t’assoiras à mes côtés pour attendre. Quand les autres vont arriver, ils prendront place en éventail à nos côtés choisissant d’être plus près de toi ou de moi. Lorsque le garçon nous apportera les menus, tu me tendras le tien en disant : « Choisi et surprends moi » pendant que tu te plongeras dans l’étude de la carte des vins. On me demandera comment je peux être certaine que tu aimeras ma sélection. Tandis que tu riras sous cape en me pinçant sous la table. Je ne me tromperai pas et tu auras bien marié le vin au repas.
Je discuterai avec mes voisins et tu glisseras des commentaires de temps à autres, pour simplifier la compréhension des autres. Des remarques qui montrent que tu me connais comme si tu m’avais tricotée. Je ferai de même de ton côté. De temps à autres tu me lanceras un regard surpris parce que j’aurais encore fait des liens que tu n’auras pas vus. Surtout, je me souviendrai des images que tu m’auras glissées, bien des mois auparavant, et tu seras étonné par leur pertinence, jusqu’à ce que je te dise qu’elles émanent de toi. On rira ensemble, à demi-mot, de tous les points restés dans le silence que nous aurons été les seuls à comprendre. Je passerai ma main dans ton dos quand tu t’étoufferas et tu t’ébroueras comme un chien qui sort de l’eau. On sera une fois de plus dans une bulle qui est hermétique aux autres tout en conservant une disponibilité certaine pour les gens qui nous accompagnent.
Quand nous allons quitter l’endroit, un peu bouffis par l’alcool, tu me serreras très fort dans tes bras et tu me diras « À la prochaine » en me collant un baiser sur la joue.
Et on se dira qu’on est un vieux couple qui n’a jamais été jeune.
De vieux amants. J'aime.
J'avais pensé écrire un texte du même genre un jour. C'était moi, dans mon bureau, après la mort de celle avec qui j'avais passé ma vie. Verre de scotch, Sonate à la Lune, coup de feu. Rideau.
Tu réussis toujours à susciter, chez moi, des commentaires du genre: "Ouais, c'est ça, c'est tout à fait ça."
Ouais, bon. C'était un lapsus. C'était pas "vieux amants", mais "vieux amis" que je voulais dire. Mais, au fond, l'amitié est-elle si éloignée de l'amour ? Lapsus contrôlé, disons. ;)
Et, hein, bon, c'est toi qui as fait exprès d'induire ton lecteur en erreur en donnant à ton texte une atmosphère (insérer ici le mot que je n'arrive pas à trouver).
Jay 1 : il est écrit "envoyer un commentaire" pas tout plein! pffffff. Le texte dont tu parles, j'ai eu la chance de le lire. J'aurai pas vu les choses ainsi. Je crois que je serai toujours un peu plus dans la beauté des choses que toi. Un peu moins dans la noirceur surtout.
Jay 2 : il faut un minumum d'amour pour que l'amitié soit possible.
Jay 3 : une atmosphère feutrée, confortable, douillette et tendre? Oui, je crois que j'ai ce petit talent. J'ai pas voulu induire mon lecteur en erreur! Et puis, t'as raison, sans doute que si. J'aime bien mêler le vrai au faux et les sentiments entre eux.
C'est à la fois d'une grande beauté et d'une infinie tristesse! Pourquoi n'aurait-ils pas pu être vraiment ensemble?
Alex: Parce que c'est une erreur de croire que tous les absolus doivent se conjuguer à l'eau de rose sentimentalo-érotique.
Mathilde: Ce texte me parle beaucoup. Mais ça tu le sais déjà!
" Ça fait depuis que t'as écrit ce texte que je reviens toujours le lire."
Et moi, c'est depuis celui-ci que je t'ai ajouté à mon aggrégateur RSS pour ne pas manquer un de tes posts.
Alex : Il y a des histoires qui finissent comme celle-là, je n'y peux rien.
Catherine : Oui, je le sais, mais c'est très agréable de le lire ici.
Philippe-A : Eh bien merci! Moi, ça fait des mois que je te lis. Mais tu dois le savoir.
Uto: on pourrait avoir des discussions échevelées sur le sujet. La frontière est mince entre ces concepts. Mais je dirais que je n'ai plus envie des relations de passions dévorantes qui me grugent et me laissent vides. Les relations amoureuses qui sont aussi amicales permettent une zone de confort autrement inaccessible.