Entre deux secondes
Des fois, c'est comme ça, j'y peux rien. Il y a des vêtements à plier, de la poussière sur les meubles, du courrier qui s'empile sur la table, et même le téléphone qui sonne parfois, mais c'est plus fort que moi, je reste là. Il y a des comptes à payer, et le ventre du frigo qui crie famine, et toi qui n'es pas là, et les autres auxquels il faudrait que je pense peut-être. Mais non. Je ne bouge pas, emmaillotée que je suis dans mon immobilité. Il doit bien y avoir quelque chose à dire aussi. Pourtant, je me tais. Le silence tourne en rond dans ma bouche. Le bruit fait la sieste sur le coussin moelleux qu’est ma langue. Si je parlais, je dirais sans doute des bêtises, mais ce n’est même pas pour ça que je me tais. Un silence inutile, c’est encore mieux, c’est encore plus silencieux.
Passez votre chemin, s’il vous plaît. Faites comme si je n’étais pas là. Ignorez ma présence. Mon absence. Ne me demandez rien, car je ne vous répondrai pas, et alors vous aurez encore plus de questions et je vous détesterai. Ne vous inquiétez pas de mes airs las, de mon teint pâle, de mes regards fuyants. Moi, j’ai cet ami qui est triste et je n’ai pas de parole à lui offrir pour recouvrir son chagrin. Vengez-le, tiens.
Parfois, il y a ce cactus qui se meurt au milieu des bouquins et des cahiers, parce que je ne lui donne pas de soleil : je n’en ai pas et je m’en fous du soleil ! Crève ! Et l’automne qui palpite contre ma fenêtre… Il en a du soleil, lui. Tiens, va le rejoindre ! Non mais, il y a des choses pires que de mourir d’ombre et de soif dans la vie… Enfin, sûrement. C’est beau dehors, je le vois bien. Mais je ne bouge pas, et ça me fait rire que ce soit si beau et de ne pas bouger pour autant, pas d’un centimètre. Allons, passez votre chemin, automne, cactus, jour magnifique, je ne vous entends ni ne vous crois. Je suis toute absorbée à m’écouter vivre en retrait de moi, à m’écouter ne rien dire. Je me mords la lèvre et j’attends je ne sais quoi. —J’ai la chienne : je ne veux pas prononcer encore ce satané je.
Je ne ressasse pas des souvenirs. Je ne pense même pas vraiment à toi. À cette façon qu’on avait d’être là, côte à côte, nos vies l’une sur l’autre, sans jamais être ensemble. Je ne souhaite pas revenir en arrière, ni aller plus loin à vrai dire. Le temps s’est entassé dans une bibliothèque, avec tous les récits qu’on ne lira jamais, puis au pied du lit avec les chaussettes sales, et dans les tiroirs encore, et sur la commode comme un affreux bibelot. Un chaos de pacotilles. Bientôt, je ne saurai plus où le mettre, ce temps, il sera partout. Il aura pris d’assaut l’automne, et le courrier, et le tic tac des horloges, et moi aussi finalement. Il prendra mon ennui, il m’envahira par tous les pores de mon indifférence. Alors, j’étoufferai et il faudra que je parte. Que j’aille me répandre ailleurs moi aussi. C’est inévitable, je le sais, je devrai adhérer à nouveau au mouvement.
Le temps et moi, après tout, on se ressemble. On se dispute les mêmes espaces. Alors, on ira prendre un coup comme de vieux amis. On parlera longtemps, appuyés l’un sur l’autre, on dépensera tous les je et les tu qui se seront accumulés entre nous et le monde. Et on mettra beaucoup de silence dans notre conversation, on calculera la distance entre les mots. Comme ça, on se fera un vide tout neuf à étendre entre nous, un trou noir, une éternité. À l’aube, on ne se reconnaîtra même plus.
Mais, en attendant, je reste là. Et je me moque bien de lui et de toi. De moi surtout, ce qui revient au même. En attendant, j’attends…
Passez votre chemin, s’il vous plaît. Faites comme si je n’étais pas là. Ignorez ma présence. Mon absence. Ne me demandez rien, car je ne vous répondrai pas, et alors vous aurez encore plus de questions et je vous détesterai. Ne vous inquiétez pas de mes airs las, de mon teint pâle, de mes regards fuyants. Moi, j’ai cet ami qui est triste et je n’ai pas de parole à lui offrir pour recouvrir son chagrin. Vengez-le, tiens.
Parfois, il y a ce cactus qui se meurt au milieu des bouquins et des cahiers, parce que je ne lui donne pas de soleil : je n’en ai pas et je m’en fous du soleil ! Crève ! Et l’automne qui palpite contre ma fenêtre… Il en a du soleil, lui. Tiens, va le rejoindre ! Non mais, il y a des choses pires que de mourir d’ombre et de soif dans la vie… Enfin, sûrement. C’est beau dehors, je le vois bien. Mais je ne bouge pas, et ça me fait rire que ce soit si beau et de ne pas bouger pour autant, pas d’un centimètre. Allons, passez votre chemin, automne, cactus, jour magnifique, je ne vous entends ni ne vous crois. Je suis toute absorbée à m’écouter vivre en retrait de moi, à m’écouter ne rien dire. Je me mords la lèvre et j’attends je ne sais quoi. —J’ai la chienne : je ne veux pas prononcer encore ce satané je.
Je ne ressasse pas des souvenirs. Je ne pense même pas vraiment à toi. À cette façon qu’on avait d’être là, côte à côte, nos vies l’une sur l’autre, sans jamais être ensemble. Je ne souhaite pas revenir en arrière, ni aller plus loin à vrai dire. Le temps s’est entassé dans une bibliothèque, avec tous les récits qu’on ne lira jamais, puis au pied du lit avec les chaussettes sales, et dans les tiroirs encore, et sur la commode comme un affreux bibelot. Un chaos de pacotilles. Bientôt, je ne saurai plus où le mettre, ce temps, il sera partout. Il aura pris d’assaut l’automne, et le courrier, et le tic tac des horloges, et moi aussi finalement. Il prendra mon ennui, il m’envahira par tous les pores de mon indifférence. Alors, j’étoufferai et il faudra que je parte. Que j’aille me répandre ailleurs moi aussi. C’est inévitable, je le sais, je devrai adhérer à nouveau au mouvement.
Le temps et moi, après tout, on se ressemble. On se dispute les mêmes espaces. Alors, on ira prendre un coup comme de vieux amis. On parlera longtemps, appuyés l’un sur l’autre, on dépensera tous les je et les tu qui se seront accumulés entre nous et le monde. Et on mettra beaucoup de silence dans notre conversation, on calculera la distance entre les mots. Comme ça, on se fera un vide tout neuf à étendre entre nous, un trou noir, une éternité. À l’aube, on ne se reconnaîtra même plus.
Mais, en attendant, je reste là. Et je me moque bien de lui et de toi. De moi surtout, ce qui revient au même. En attendant, j’attends…
Je relis ton texte pour la xième fois depuis hier soir. Le silence qui nous habite, cette peur qui nous enlasse... Le pire c'est qu'on se sent tellement mieux quand on l'a laissé partir, mais on reste certain qu'en se taisant on se protège davantage. On a peur de perdre, lorsqu'au fond on a tout à gagner. Surtout la clarté.
Je suis confuse, qui s'est mis à m'espionner et à dire tout ce que je n'écris pas par peur de bouger? Ça y est j'ai bougé, pour la première fois de la journée, à 16h25, après vous avoir lu, cher inconnu, cher connu...
J'aime beaucoup lire vos silences. C'est fort et vibrant. Merci.