La bonne question
Il y a des traits qu’on porte comme des caricatures de nous-mêmes. Je n’avais pas vingt ans, c’était une classe de psychologie et on devait écrire comment on voyait l’avenir de nos compagnons. Dans ce groupe, on me voyait mère. Femme au foyer avec des dizaines d’enfants. À moi. Pas les enfants des autres. Les miens. On ne me percevait pas comme une femme de carrière. Les réponses pour les autres allaient de médecin à peintre en bâtiment. En passant par toutes les gammes de vie professionnelle possible. Moi, j’étais mère. Simplement. J’ai été insultée. Comme si on me disait que je ne pourrais jamais être quelqu’un en dehors d’une hypothétique maternité. Treize ans plus tard, je ne suis pas une maman. Je ne suis que Mathilde. Pas vraiment professionnelle non plus. Juste Mathilde qui se dépatouille dans la vie, du mieux qu’elle le peut. Par contre, je suis toujours aussi maternante avec les gens qui m’entourent. Je crois que je me suis battue très fort pour devenir n’importe quoi d’autre qu’une maman. Et que j’ai tué dans l’œuf toutes les possibilités de réaliser cette prédiction. En choisissant, inconsciemment, des hommes qui ne seraient jamais les pères de mes enfants.
Il m’a dit : « Je n’ai jamais laissé quelqu’un me consoler comme tu le fais. » De sa part, c’était un aveu de confiance sans limite. Je le savais, je le mesurais, je prenais pleinement l’ampleur du compliment. J’ai posé un baiser sur son front et je me suis tue. On ne s’est jamais revus. Sans doute était-il allé trop loin dans ses possibilités d’intimité. Je ne saurai jamais, cela importe peu, au fond. J’ai passé des heures à prendre sur moi les peines des gens qui m’entourent, à comprendre pourquoi ils agissaient ainsi. À excuser leurs comportements. À pardonner les blessures qu’ils m’infligeaient, pour qu’ils m’aiment. Prendre au compte-goutte leurs balafres, les panser jusqu’à en extraire tout le venin. Pour qu’ils m’aiment. J’ai donné. Mon sang, ma vie, mon âme. J’ai pris tous les reproches qu’on me faisait en tenant compte de ma propre humanité. J’ai prêté le flanc aux épées qui s’avançaient sur moi. Pour qu’ils m’aiment. Et j’ai souri. Forte et fière.
J’ai appris à pleurer, un peu. C’est encore difficile pour moi. Toujours cette peur que ma tristesse, mes lourdeurs fassent fuir les gens que j’apprécie. Pourtant, quand ils sont tristes, je suis-là. Et je les aime autant. Davantage même parfois. Je me sens faillible. Il me semble que je doive en faire un peu plus pour qu’on m’aime. Alors je suis drôle, rapide, conviviale. Ma porte est ouverte, mon cœur et mes oreilles aussi. Je fais les liens, démontre mon intérêt. Je cherche à comprendre. N’empêche que les coups de cochon, je les reçois quand même. Il y a des gens qui sont pris avec moi dans leur vie et ne m’auraient pas choisie. Ils le disent. Je voudrais pouvoir changer le passé, ces moments lors desquels j’ai semé des maux. Je ne peux rien faire d’autre que demander qu’on me pardonne. Je l’ai fait souvent. On ne m’a pas pardonné malgré le fait que j’essayais d’être si gentille, si maternelle et si compréhensive.
On m’a demandé pourquoi je ne m’entourais pas d’enfants qui me rendraient un peu de ce que je donne. J’ai répondu que je manquais de temps. C’est une belle foutaise. En réalité ce qui me manque, c’est le courage de prendre ces parcelles d’amour qu’on voudrait bien m’offrir. Si seulement je me laissais aller.
Il m’a dit : « Je n’ai jamais laissé quelqu’un me consoler comme tu le fais. » De sa part, c’était un aveu de confiance sans limite. Je le savais, je le mesurais, je prenais pleinement l’ampleur du compliment. J’ai posé un baiser sur son front et je me suis tue. On ne s’est jamais revus. Sans doute était-il allé trop loin dans ses possibilités d’intimité. Je ne saurai jamais, cela importe peu, au fond. J’ai passé des heures à prendre sur moi les peines des gens qui m’entourent, à comprendre pourquoi ils agissaient ainsi. À excuser leurs comportements. À pardonner les blessures qu’ils m’infligeaient, pour qu’ils m’aiment. Prendre au compte-goutte leurs balafres, les panser jusqu’à en extraire tout le venin. Pour qu’ils m’aiment. J’ai donné. Mon sang, ma vie, mon âme. J’ai pris tous les reproches qu’on me faisait en tenant compte de ma propre humanité. J’ai prêté le flanc aux épées qui s’avançaient sur moi. Pour qu’ils m’aiment. Et j’ai souri. Forte et fière.
J’ai appris à pleurer, un peu. C’est encore difficile pour moi. Toujours cette peur que ma tristesse, mes lourdeurs fassent fuir les gens que j’apprécie. Pourtant, quand ils sont tristes, je suis-là. Et je les aime autant. Davantage même parfois. Je me sens faillible. Il me semble que je doive en faire un peu plus pour qu’on m’aime. Alors je suis drôle, rapide, conviviale. Ma porte est ouverte, mon cœur et mes oreilles aussi. Je fais les liens, démontre mon intérêt. Je cherche à comprendre. N’empêche que les coups de cochon, je les reçois quand même. Il y a des gens qui sont pris avec moi dans leur vie et ne m’auraient pas choisie. Ils le disent. Je voudrais pouvoir changer le passé, ces moments lors desquels j’ai semé des maux. Je ne peux rien faire d’autre que demander qu’on me pardonne. Je l’ai fait souvent. On ne m’a pas pardonné malgré le fait que j’essayais d’être si gentille, si maternelle et si compréhensive.
On m’a demandé pourquoi je ne m’entourais pas d’enfants qui me rendraient un peu de ce que je donne. J’ai répondu que je manquais de temps. C’est une belle foutaise. En réalité ce qui me manque, c’est le courage de prendre ces parcelles d’amour qu’on voudrait bien m’offrir. Si seulement je me laissais aller.