lundi, juillet 17, 2006

D'orages et de contes

C'était en plein après-midi quand le ciel s'est couvert de ses atours d'orages. La nuit s'est abattue sur les enfants tandis que le vent faisait ployer les branches des arbres qui venaient obstruer les fenêtres, comme si la forêt se refermait sur eux. Les eaux du lac tournaient au gris charbon, annonçant, de ce fait, une tempête comme le chalet n'en avait vu depuis longtemps. Les murs craquaient fortement, laissant croire que la batisse pouvait s'écrouler. Dans ce coin perdu, l'électricité n'a pas tenu. C'était un après-midi noir comme la nuit, les enfants étaient seuls parce que les adultes étaient pris au village où ils étaient aller faire les courses. Le temps s'était arrêté sur les murs de l'orage qui emprisonnaient les enfants à l'intérieur. À cause de la violence des éléments, ils n'auraient pas mis le nez dehors de toute manière.

C'étaient des enfants de l'oral. Par l'éducation qu'ils partageaient, ont leur avait appris à écouter les histoires, comme la plupart de leurs contemporains avaient appris à se laisser bercer par la télévision. C'étaient des enfants de l'orage et dans la brèche d'un éclair un des garçon pris un taille-crayon et un crayon pour en faire un semblant de pipe, qu'il appelait sa pipe de cent ans, il s'est assis dans la chaisse berçante de son grand-père, s'installant confortablement pour raconter ses souvenirs de vieil homme. D'une voix chevrottante, aux forts accents du terroir il demanda :

« Te souviens-tu, mon homme, quand on avait douze ans, on s'était fait prendre par un déluge épouventable, au camp? Ce jour-là, non content de nous tomber sur la tête, le ciel du jour s'est transformé en manteau de nuit, aussi noir que le fond de nos vieux fours à bois. On était quatre dans les murs branlants du shak qui menaçaient de nous tomber dessus à chaque nouvelle bourasque. Il y avait nous, deux bien sûr, ma soeur et une de ses amies qui tremblait de peur toutes les fois où un éclair traversait le ciel et que le bruit du tonnerre nous rappellait que les éléments s'abattaient sur nous. Nous, on se moquait de sa trouille en lui jouant les fantômes pour ajouter à l'horreur et elle s'enfuyait en courant à travers la maison. »

Et l'autre garçon s'est mis à répondre au conteur, comme s'il revoyait aussi des images d'une enfance révolue passer sous ses yeux, donnant ainsi à son compère, le loisir de continuer, pendant, qu'assises sur le tapis usé, les fillettes n'entendaient plus les tumultes environnant, oubliant tout ce qui n'étaient pas les paroles de ce conteur improvisé.

« Te souviens-tu que la jeunette avait tellement peur que tout la faisait sursauter, et que pour nous amuser nous nous étions armés de chaînes qu'on laissait traîner sur le plancher fatigué qui craquait à chaque pas pour la suivre à travers la maison afin d'accroître sa peur? Te souviens-tu que nous avions tellement bien réussi qu'elle s'est précipitée dehors, sous la pluie battante, pour fuir les spectres que nous étions et même quand nous avions tenter de la rappeler pour lui dire que ce n'était qu'une mauvaise plaisanterie, elle ne s'est pas retournée continuant de s'enfoncer, inexorablement, vers le fond des bois environnants en criant de toute son âme, sa détresse et sa peur? »

Il a baissé la voix pour conclure de manière dramatique :

« Eh bien, on ne l'a jamais revue et depuis, les villageois savent bien que les pleurs qu'on entends durant les nuits d'orages sont les siens et qu'elle tente encore aujourd'hui de retrouver le chemin de sa maison, en courant à perdre haleine à travers les arbres menaçants ».

Bien entendu, cette partie de l'histoire était fausse. Les fillettes étaient sagement agenouillées sur le tapis. Mais l'espace d'un instant, elles ont cru que c'était vrai.

Et vingt ans plus tard, lors d'une rencontre bien improbable, la peureuse rappelait au conteur cette journée d'orage dont elle gardait une intacte souvenance. Elle lui dit, que déjà enfant il était un grand conteur et lui de répondre : « À bien y penser, ce doit être l'influence du village, parce que le lac où nous allions est situé à Saint-Élie-de-Caxton*.»

* Pour les non Québécois, il y a un conteur Québécois qui connaît actuellement un très grand succès. Il se nomme Fred Pellerin et toutes ses histoires abracadabrantes se déroulent dans le village de Saint-Élie, où il a grandit.