jeudi, juillet 20, 2006

La roue tourne, mais elle prend son temps

Voici ma contribution au Coïtus impromptus de la semaine. Quelquefois, les aléas de la vie se concertent pour me donner le goût d'écrire.

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Les activités de la rentrée avaient eu lieu la semaine précédente. Je m'étais amusée comme une folle à faire connaissance avec mes futurs condisciples. J'avais tellement crié que ma voix s'en ressentait encore un peu. C'était une journée de fin d'été, de celles qui sonnent le glas du retour en classe. J'ai toujours aimé l'école. Un peu parce que j'y apprenais de nouvelles choses, beaucoup parce qu'il me tarde toujours de faire des rencontres, de tisser des amitiés. Le Cégep ou j'allais n'était pas grand. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, on en avait fait le tour. Cependant, les nombreuses ailes qui se déployaient dans toutes les directions avaient de quoi déboussoler le meilleur cartographe. Un peu à la course, puisque je m'étais oubliée au café étudiant, j'ai attrapé une frite au casse-croûte avant de monter à mon premier cours de math (ma mort). Là je me suis butée à une porte fermée que j'étais incapable d'ouvrir parce que mes mains étaient trop pleines. Je me suis tournée vers la fille qui se tenait tout à côté et je lui ai foutu mon repas dans les mains en disant, cavalièrement, je l'admets : « tiens-moi ça pendant que j'ouvre la porte. »

Je ne sais plus ni où ni quand, cette année-là, elle est devenue autre chose, pour moi que la fille-dans-mon-cours-de-math, mais je sais qu'on s'est retrouvées plus souvent qu'à notre tour, attablées à la taverne du coin à refaire le monde et les gens qui y vivent. Je me rappelle que lors des premiers jours de cette année scolaire, elle portait sur elle les embruns d'un été aux Îles, comme un voile de nostalgie qui lui entravait les épaules. Je crois que mon truc, c'est de l'avoir fait rire. Parce que j'ai de la gueule, parce que, surtout, je répondais des trucs improbables aux mecs qui me draguaient, effrontée que j'étais, dans ma candeur adolescente. Tranquillement, elle a laissé s'évaporer ses souvenirs d'été qui la retenaient dans un ailleurs que personne d'autre qu'elle ne pouvait visiter. Tranquillement, nous sommes devenues amies.

Elle était la fille que tout le monde appréciait, dont tous avaient envie de faire leur amie. Encore aujourd'hui, losrque je parle d'elle à des gens que nous connaissions à l'époque, ils me disent à quel point ils l'appréciaient. Moi j'étais un peu trop fonceuse et directive pour avoir un tel succès. On m'aimait ou on me détestait. Rares étaient les personnes que je laissais indifférentes. Je fonçais dans les portes ouvertes sans tenir compte des vagues que je soulevais autour de moi. Mais elle me choisissait, encore et toujours. Et j'en étais ravie. Elle était mon Petit-Oiseau-des-Îles et j'étais son Bulldozer. La vie nous a amenées loin de nos premiers lieux de rencontres, tour à tour. Aujourd'hui, elle reste aux État-Unis. Et mon Oiseau n'écrit pas beaucoup, ne téléphone pas davantage. Mais depuis plus de dix ans que les distances géographiques s'accumulent, j'écris. Pas toujours rien que pour elle, en fait c'est plutôt rare. Mais que ce soit par mon blogue ou par des courriels collectifs, elle a de mes nouvelles.

Il y a quelques années, lorsque j'errais au pays des zombies, lorsque mon estime de moi traînait en lambeaux à mes pieds, j'avais cessé d'écrire. Et elle me demandait, de son bout du monde, ce qui se passait avec moi. On ne s'était pas vues depuis de longues années. Je lui répondais que je n'avais rien à dire. Alors elle me disait que c'était impossible, qu'il y avait autre chose certainement, que si Mathilde n'écrivait pas, c'est qu'elle n'allait pas bien du tout. Elle était celle qui voyait, de loin, ce que tous les gens autour de moi ne voyaient pas : que j'allais très, très mal. Ça aura pris encore sept mois avant que je finisse devant un psy et que, lentement, je remonte la pente.

Depuis, je suis entrée dans la blogosphère, et j'écris beaucoup moins souvent mes coups de gueule dans le journal qui fut mon premier tremplin public. Mais je sais qu'elle me lit de temps à autres, histoire de se tenir au courant. Et je sais qu'elle fait partie de rares personnes qui peuvent lire entre mes lignes et trouver les frontières entre fiction et réalité. Son frère se marie cet été. Actuellement, elle est à Montréal. On m'a dit qu'une jolie fille était passée à la libraire cette semaine, mais que toutes les fois, je n'y étais pas. Je ne l'aurai pas vu, faute de hasards complaisants. Mais je sais bien que c'est elle. Je sais bien qu'elle voulait me faire la surprise de son sourire. Au moment où je l'ai compris, j'avais à la fois le goût de rire et de pleurer. Parce que malgré un horaire surchargé, il y a un oiseau qui s'est posé sur une branche en essayant de m'apercevoir.

La roue tourne, mais elle prend son temps. Je ne sais pas lorsqu'elle nous permettra de nous revoir, mais je garde en mémoire des centaines de souvenirs qui me réchauffent le coeur toutes les fois où je m'attarde à y penser.

4 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Tu m'as si souvent parlé d'elle, mais à chaque fois, tu trouves des mots nouveaux pour l'embellir davantage.

Et quand tu auras droit à plus de deux jours de congé, n'oublie pas que ma voiture et moi serions très heureux de t'accompagner par-delà la frontière...

12:21 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Un hommage magnifique Mathilde ! Je n'aurais pas pu choisir plus beau texte pour mon premier commentaire ici.

Tout ce que j'ose espérer, c'est que peut-être, un jour, quelqu'un se souviendra de moi comme tu te souviens d'elle. Quelle chance elle a !

2:31 p.m.  
Blogger Lew s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Très touchant texte mamathilde. :)

3:20 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Alex : si ce n'était que de traverser la frontière, il y a longtemps que je t'en aurais parlé. Mais elle reste loin la belle, trop en tout cas, pour une fin de semaine.

Valérie : Très heureuse de lire un commentaire ici. Quand à laisser ta trace dans la vie de quelqu'un comme elle l'a laissée dans la mienne, eh bien, dis-toi que si tu a quelqu'un collé au coeur, il y a des chances que tu sois tatouée sur le sien en retour.

Lew : Merci. Elle l'a beaucoup aimé aussi.

10:19 a.m.  

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