Parfum de sagesse
C’était un vieil homme qui ne faisait pas du tout son âge. Lorsque je l’ai aperçu qui traversait la rue, je lui donnais un jeune soixante-dix ans. Il était alerte, vif et visiblement très actif. Mais comme beaucoup de personnes âgées, il essayait tant bien que mal de tromper sa solitude en s’activant. Il me racontait qu’il aimait beaucoup magasiner pour se garder en forme. Qu’il passait beaucoup de temps à sillonner la ville en autobus et qu’il marchait aussi. Sa voix était graveleuse et portait une camisole sous sa chemise malgré la chaleur écrasante de l’été. Et j’entendai,s dans ses expressions et ses tonalités si particulières, un souvenir de la voix de mon grand-père pourtant décédé il y a déjà longtemps. Il y avait communauté entre ces deux hommes, ce parfum de sagesse que fleure la vieillesse.
« J’attends ma douce, m’a-t-il expliqué en me rejoignant. Ce soir, on va danser. Quelques valses et un tango » Moi je le regardais en souriant, enchantée qu’il me fasse la conversation pour tromper l’ennui de cet après-midi perdu. Il a dû voir à mon sourire que sa conversation ne me gênait pas, alors ils s’est mis à me raconter qu’il allait danser comme cela, un samedi sur deux. Qu’il était celui de son âge qui se fatiguait le moins vite dans son groupe de l’Âge d’or et qu’il en était très fier. Je lui ai alors demander combien il comptait de printemps et il m’a répondu, pompeux : « quatre-vingt-deux, ma petite demoiselle! » J’ai manqué une respiration, tellement j’étais saisie.
La femme qu’il attendait, venait d’une autre ville passer deux jours avec lui. Il la considérait comme une jeunesse parce qu’elle n’avait que soixante-quinze ans. Et il rigolait en me disant cela. Je le soupçonnais fortement de m’imaginer encore au stade du biberon. Quand je lui ai demandé depuis combien de temps il la fréquentait et s’il avait l’intention d’habiter avec elle un jour, il m’a lancé un regard horrifié avant de me dire : « Tu vois, j’ai été marié dans mon jeune temps. Mon épouse était belle comme le jour et avait toujours vécu dans la ouate. J’étais financier avant de prendre ma retraite, alors des sous, on en avait. Et ma femme mangeait au restaurant tous les jours en plus de payer des domestiques pour ne pas avoir à entretenir la maison. J’ai pas tellement le goût de retomber l à-dedans. Fa que j’ai appris à cuisiner après son décès, pis je ne me remarierai pas c’est certain. J’aime ben mieux conter fleurette aux jeunesses que je croise et retourner dans ma tanière le soir venu. »
J’avais un peu de peine à ne pas rire. Je ne voulais pas le blesser. Il m’a offert une boisson gazeuse, un peu, sans doute, pour que je continue à l’écouter parler. Il me montrait les bâtiments autour de la gare, dans cette ville où j’habitait depuis si longtemps en me racontant à qui ils avaient appartenu. Dans le temps. Comme si je connaissais ou étais supposée connaître toutes les personnes dont il était question. Pourtant, tous ces noms m’étaient inconnus. Mais j’écoutais intéressée les aventures de ces gens qui demeuraient pour moi des images sorties tout droit d’un passé révolu. Avec, probablement, un peu plus de chair que s’il ne me les avait pas racontés.
Au bout d’une heure l’autobus a fini par entrer en gare. Et j’ai vu une petite dame en bleu, avec un grand chapeau. À la fois menue et distinguée. C’était la douce de mon compagnon d’attente à coup sûr. J’étais tellement concentrée sur leurs retrouvailles que j’ai presque manqué la sortie de ma sœur, venue me rendre visite. Je lui ai fait la bise, encore distraite, en regardant mes deux tourtereaux s’éloigner en se tenant la main.
Les ptits vieux, ce sont mes préférés... ;)
Double wow Mathilde ;)
Taupe : Moi j'aime beaucoup raconter des histoires de vieux. Il y a là-dedans quelque chose de touchant.
Valérie : Merci pour le texte. Pour l'entête, je plaide non coupable. Le graphisme, c'est de toi et la mise en page, je ne l'aurais jamais réussie sans Charles.
Il devait être un tombeur dans son jeune temps ce monsieur. ^__^
En tout cas, il avait l'air bien sympa.