jeudi, janvier 17, 2019

Une bête curieuse

Dans l'immeuble où j'habite, il y en gros, deux types de locataires : des personnes seules ou de jeunes familles qui, à ce que je me suis laissée dire, ne restent jamais très longtemps à cette adresse. Je suis moi-même une nouvelle arrivante dans ce milieu. Mais je m'y suis intégrée comme une main dans un gant fait sur mesure. J'ai été accueillie avec gentillesse par les occupants qui y sont depuis longtemps, parce que, je suppose, ils me reconnaissent comme l'une des leurs.

Une fois cela établi, je ne peux pas dire que j'ai largement fait connaissance avec les autres occupants, mais j'en reconnais plusieurs, sur la rue où à l'épicerie. À vrai dire, mon premier contact avec la majorité d'entre eux a eu lieu quand nous sommes retrouvés devant l'immeuble à cause d'une alarme d'incendie. On était collectivement en pyjama ou à peu près, ce qui ne nous présentait pas nécessairement les uns aux autres sous nos meilleurs jours. Ceci était dit, ça nous a permis de nous lancer des petits coups d’œil complices quand on se croisait dans le vrai monde.

À l'étage du dessus, il y a plusieurs personnes qui y sont depuis fort longtemps, dont une femme que j'appellerai Suzie. Je ne l'ai pas vue très souvent. Nous avons des horaires divergents et nos appartements ne donnent ni sur les mêmes couloirs ni sur le même côté de l'immeuble. Mais le jour de Noël, je l'ai croisée alors que je remontais une brassée de linge. Elle était assise dans l'escalier, un gros sac poubelle sous les fesses et elle descendait (dévalait) l'escalier de cette manière. Bien entendu, j'avais eu le goût de rire, mais je m'en étais abstenue. Après tout, sa situation n'était pas enviable, et elle ne pratiquait pas cette descente dans le simple but d'avoir du plaisir. En réalité, elle avait une jambe cassée et elle trouvait beaucoup moins difficile de parcourir les étages de la sorte plutôt que de se battre avec ses béquilles pour arriver à destination. Ce jour-là, elle était accompagnée d'une femme lui ressemblant beaucoup, qui lui apportait un support moral sans doute bienvenu.

Il y a quelques jours, on s'est revues à la salle de lavage. Moi, je suis régulière comme une horloge et j'utilise toujours les machines tôt le matin, un jour de semaine. Je ne l'y avait jamais vue. Elle était entrée dans la pièce quand je venais d'abaisser la porte de la laveuse. Elle m'avait fait une petite face dépitée en me demandant si j'avais l'intention de faire sécher mon linge après. J'avais toute suite compris l'enjeu, il y a deux laveuses et une sécheuse. Et visiblement, elle n'avait pas l'intention de remonter ses étages entre les cycles de lavage. Je l'avais rassurée en lui disant que je pouvais très bien attendre deux heures avant de revenir mettre mon linge à sécher.

J'ai alors eu l'impression d'avoir réussi un rite de passage. Parce qu'elle s'était aussitôt présentée, m'expliquant qu'elle restait ici depuis vingt ans et me racontant les us et coutumes des habitants de longue date de notre immeuble. C'est ainsi que j'ai appris l'histoire d'à peu près tous ceux qui sont partis en même pas cinq minutes, tout à fait surprise d'en apprendre autant en aussi peu de temps. Tandis qu'elle déplorait de ne plus rien savoir depuis que le concierge avait changé parce que celui d'avant expliquait toujours qui partait et qui arrivait à ceux qui voulaient bien l'entendre.

Je l'avais trouvée un peu belette, tout en étant immensément sympathique.

Le l'avais laissée à son lavage, plutôt amusée, en me disant que je ne perdait rien pour attendre qu'elle trace de moi une esquisse aussi vive que précise la prochaine fois qu'elle parlerait à une voisine de palier que je ne connais pas.

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dimanche, décembre 02, 2018

Famille buissonnière

J'attendais l'autobus depuis quelque chose comme une minute quand un petit bout de femme (déjà que je ne suis vraiment pas grande, lorsque je dépasse mon interlocutrice de presque une tête, on parle d'un petit bout de femme) m'avait abordée : « L'autobus? Il passe dans cinq minutes ou moins? » J'avais regardé ma montre avant de lui affirmer que l'autobus devait arriver d'ici cinq minutes effectivement. La dame avait poussé un long soupir avant de me dire qu'elle s'était pointée à l'arrêt à 8h30 avant de s'apercevoir qu'elle en venait de manquer le passage du précédent. Puis, elle avait ajouté avec un sourire en coin : « mais je me suis sauvée sans regarder l'horaire... »

Parce qu'elle était souriante, pétillante et fort sympathique avec son accent chantant j'avais demandé pourquoi. Elle avait répondu à peu près ceci: « Tu vois, ma petite fille, je suis italienne et j'ai 64 ans. J'ai trois fils, dont un qui vit au-dessus de chez-moi. Je crois que je les ai trop gâtés eux et mon mari parce que tous s'attendent tout le temps à ce que je m'occupe de tout dans la maison. Mais je travaille moi, à temps plein toute la semaine. Ça ne change rien, ils débarquent tous la fin-de-semaine, avec leurs femmes et les enfants et il faut que je fasse un gros souper pour tout le monde. Et quand je demande de l'aide, ils me câlinent et me disent tous que personne le fait bien comme moi. Mais, je suis fatiguée et j'ai décidé d'avoir un jour de congé ».

J'étais amusée. Je ne doutais pas un instant qu'elle disait vrai ni qu'elle soit fatiguée, même si en toute honnêteté elle semblait avoir de l'énergie à revendre. En contre-partie, je pouvais tout à fait comprendre qu'elle en avait plus qu'assez de servir tout son monde tout le temps. Je lui avais alors demandé qu'est-ce qu'elle comptait faire de son congé.

« Oh, je vais faire les courses, c'est bien entendu, parce que demain on est dimanche et que le dimanche c'est sacré et on aura un souper de famille. Après mes courses, je vais aller chez ma sœur, elle ses brus son Québécoises, alors elle a de l'aide quand elle reçoit, ce qui n'est pas mon cas. Alors, quand je suis fatiguée, elle m'aide à son tour et me permet de cacher mon épicerie chez-elle sans avoir à rentrer chez-moi. Ensuite, je vais aller au cinéma puis je vais aller souper avec des copines du travail ».

Elle me racontait tout cela l'air coquin. J'avais l'impression d'écouter une adolescente qui tentait de s'affranchir des décrets parentaux. C'était peut-être un peu vrai du reste, elle semblait réellement en réaction à sa famille et son milieu. J'avais le sentiment que quoiqu'elle dise, elle ne se sentait pas écoutée et encore moins comprise. Juste avant que l'autobus n'arrive elle m'avait avoué : « Et puis, je suis fâchée contre mon mari, il a dit à mon fils que nous pourrions gardé sa fille après-midi, mais ça, ça veut dire que c'est moi qui la garde parce que mon mari, lui, ne change pas ça une couche. J'ai bien hâte de voir comment il se sera débrouillé après ma fuite. Mais en attendant je vais profiter de ma journée ».

Je l'avais aidée à grimper dans l'autobus en souriant et en lui souhaitant la meilleur journée de famille buissonnière possible. Elle m'avais renvoyé un sourire absolument ravie, heureuse, je crois, de s'être sentie entendue...

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dimanche, octobre 14, 2018

Une funambule

La première fois où je l'ai vue, c'était par une belle journée d'automne. Il me semble que le soleil était radieux et que les arbres arboraient des couleurs éclatantes. Elle ne le savait pas, mais moi, du haut de mes neuf ans et demi, j'attendais depuis bien longtemps de faire sa connaissance. Honnêtement, sur le moment j'ai été déçue. Elle était toute fripée, et il m'apparaissait évident qu'elle ne pourrait pas être ma meilleure amie la semaine suivante. J'aurais dû m'en douter pourtant, j'avais déjà deux petits frères qui avaient eux aussi été des bébés. Enfin bref, j'avais fait contre mauvaise fortune bon cœur et pris la décision de l'aimer de tout mon être.

Elle a été une petite fille joyeuse et vive qui aimait profondément les animaux. Un de nos frères était allergique à bien des animaux, mais ça n'a pas empêché la petite d'adopter un chat lorsqu'elle avait quelque chose comme quatre ans. On venait de comprendre, en famille, que ma sœur n'irait jamais sans chat, quelles que soient les circonstances. Ce sont deux concepts qui vont ensemble, ma sœur et un chat. Mais c'était aussi une petite fille rayonnante, à l'oreille impeccable. Elle comprenait l'anglais avant que je ne le fasse, malgré nos presque dix ans de différence. J'ai un souvenir vivace d'une marche sur la rue Prieur, durant laquelle elle m'a chanté les vraies paroles d'une chansons qui jouait continuellement dans ma chambre, alors que je n'aurais absolument pas pu les citer parce que je ne les comprenais pas.

Je n'ai pas beaucoup connu l'adolescente, je vivais dans une autre ville et je ne revenais à Montréal que quelquefois par année. On se parlait un peu au téléphone, de son camp qui était le centre de son univers, ou des Girlmore girls parce qu'on l'écoutait ensemble, à distance. Et l'air de rien, pendant qu'elle devenait une femme, moi je m'enfonçait dans le pays des zombies, alors bien entendu, nos relations n'étaient pas si fameuses. D'autant que je me choquais beaucoup. Ce qui n'amieutait pas les relations familiales.

Elle est vite devenue une jeune adulte bien dans sa peau et active dans son milieu. Je crois, que pendant un moment de sa vie, elle trouvait qu'elle était devenue un peu ma grande sœur, parce qu'elle atteignait des paliers de vie que je ne rencontrerai jamais. Elle avait le début de l'âge adulte quelque peu intransigeant.

Et puis, elle est devenue mère. Une belle et bonne maman. Douce sans être gâteuse. Ferme mais pas rigide. Et comme femme, ses angles se sont arrondis sans qu'elle ne s'en aperçoive. Un plus grande tolérance ajouté à un peu moins d'impatience généralisée. Elle aura appris à manœuvrer sur un fil de fer à hauteur de ciel tout en gardant obstinément ses deux pieds sur terre.

C'est une des choses qui me fascinent le plus chez elle, sa capacité à avancer toujours quelque soit l'étroitesse du chemin quelle décide d'emprunter.

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jeudi, mai 11, 2017

Pays candide

Lorsque j'ai changé de succursale à l'automne dernier, j'ai fait la connaissance avec une jeune personne avec laquelle j'ai tout de suite su que la collaboration serait féconde et stimulante. Je crois que nous avons rapidement compris que nos sens de l'humour étaient précisément compatibles. Il émane d'elle une telle candeur, une absence presque complète de la peur du ridicule qui ne pouvaient faire autrement que de m'amuser grandement, si ce n'est de me charmer carrément.

Si je me plais à écrire des histoires, elle a le chic de les raconter de vive voix. Son sujet de prédilection est incontestablement les aventures qui la mettent en scène lorsqu'elle s'est retrouvée dans une situation ridicule. Alors elle me les raconte spontanément, sachant que je serai un public de premier ordre pour ce genre d'anecdote.

Un midi qui suivait une matinée rude pour moi, le genre de matinée où j'avais eu maille à partir avec des clients mécontents pour des raisons diverses, elle avait entrepris de me raconter comment elle avait un jour décidé de suivre les indications d'un GPS pour aller de la région de Québec à celle de Sallaberry-de-Valleyfield et que d'une mauvaise indication à une autre, elle avait fait un petit détour par Terrebonne, avant de finalement arriver à destination. Le tout avec moult détails sur toutes les pensées qui avaient accompagné les diverses étapes de ce rocambolesque retour à la maison. J'avais ri à en avoir mal aux côtes et il vaut encore mieux aujourd'hui que je ne m'attarde pas trop à penser à cette aventure sans quoi j'ai le rire qui me reprend de manière assez intempestive. Il va sans dire qu'elle avait grandement contribué à changer l'humeur de ma journée.

C'est le type de personne qui, même dans ses mauvaises journées, prend systématiquement le pari de faire contre mauvais fortune bon cœur. Elle m'avisera, à l'avance, qu'elle ne sera pas au mieux de son efficacité, et si je peux de visu constater qu'elle est capable de multiplier les bourdes de manière assez ahurissante, aucune d'entre elles n'a d'effet désastreux si ce n'est un ralentissement évident de son rythme de travail. Ce qui est préférable à une attitude boudeuse ou agressive, selon moi.

Quelquefois, je crois qu'elle a le sentiment que je me moque un peu d'elle, tellement tout ce qu'elle me dit me fait rire. Jamais je n'oserais cependant, j'aurais beaucoup trop l'impression de saper une force vive dans son élan immatériel. Ceci dit, je suis tellement ricaneuse qu'il m'est souvent impossible de me retenir.

Je présume que, comme tout le monde, elle a ses heures de bouette lors desquelles elle n'est pas la jeune personne pétillante avec laquelle j'ai l'habitude de travailler, mais elle les garde à la maison. Ce qui fait qu'elle est devenue, pour moi, dans les six derniers mois un îlot de frâcheur, un petit pays candide auprès duquel il fait bon respirer.

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jeudi, janvier 12, 2017

Les yeux du silence

J'ai souvenir d'un petit garçon à la chevelure claire et aux grands yeux noirs. Je sais bien que je l'ai connu dans ses premiers balbutiements dans l'existence puisqu'il est mon cousin et que nous avons quelques douze ans de différence d'âge. J'ai sans doute catiné le bébé qu'il a été, mais je me rappelle surtout qu'il était un enfant timide, très timide. Il se cachait volontiers dans les jupes de sa mère, les jambes de son père ou derrière son grand frère. Et je présume que lorsque ledit grand frère a trois ans de plus que soi, il est vraiment plus grand qu'on ne l'est.

Il me semble qu'il ne parlait pas. Pas qu'il ne savait pas parler, mais il observait la meute impressionnante de cette famille sans entrer en dialogue directe avec elle. Si ce n'est sa cellule familiale immédiate et un de mes frères. Je ne sais pas si c'est parce que ce dernier était bon avec les Legos, si c'est parce qu'il jouait de la guitare ou encore parce qu'il avait un talent certain pour animer les foules (y compris les plus jeunes membres de cette famille élargie), ou peut-être à cause de l'ensemble de cette œuvre. Toujours est-il que j'ai tôt eu l'impression que mon frère avait été pas mal le seul à être capable de créer un pont avec ce petit garçon timide.

Je n'aime pas être en reste. Je n'avais pas les talents de mon frère, mais j'aime les gens et j'étais curieuse de faire la connaissance de ce cousin rétif. Alors, j'allais les regarder jouer et je lui posais des questions. Au début, il me répondait par monosyllabes, puis, avec le temps, il développait, un peu. Il me saluait même, si j'étais dans le secteur quand il arrivait.

Tout a changé le jour ou il a attrapé l'adolescence de plein fouet. Comme si cet état de fait le mettait un peu plus dans le même groupe que ceux qui le précédaient de peu. Et il avait développé un amour de la musique en général et de la guitare en particulier qui lui permettait, je suppose, de se sentir un peu plus dans son espace. À la surprise générale, il s'était mis à jaser de tout et de rien avec un à propos humoristique et candide. Et si beaucoup d'entre nous ne le connaissaient pas ou peu, lui nous connaissait Je crois qu'il a passé les 12 premières années de sa vie à nous observer. Il n'avait peut-être pas une grande langue, mais certainement de grandes oreilles (au sens figuré, s'entend).

Il n'a jamais perdu son habitude d'observation. Ses pérégrinations musicales l'ont amené partout et ailleurs. Il est rare qu'il fasse étalage de son ses réussites dans le domaine, sauf pour admettre qu'il gagne sa vie avec la musique. Par contre, il nous régale désormais de petites historiettes toutes plus anecdotiques les unes que les autres, sur son métier. C'est toujours fait avec la même candeur et le même intérêt pour ceux qui l'entourent. Jamais de mesquineries inutiles, comme si cela ne faisait absolument pas partie du milieu dans lequel il fraie.

Des fois, juste pour le plaisir, je lui pose une question sur une guitare. Je ne comprends généralement pas grand chose à la réponse, mais je le laisse s'envoler dans sa passion et je retrouve un peu le petit garçon qui ne parlait de rien d'autre que de ce qui l'intéressait passionnément. Généralement, il s'arrête en cours de route, saisit soudain par mon incompréhension, et il me demande comment je vais.

Beaucoup gens vivent avec des œillères, lui a choisi de vivre avec des antennes.

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mercredi, décembre 21, 2016

Trépigner l'impatience

Je savais, le jour où je l'ai rencontré, que j'avais sous les yeux un personnage. Un de ceux que je voudrais écrire. Quelque chose dans la mobilité agile de ses traits et sa vivacité d'esprit, qui me rappelait tous les jeunes improvisateurs avec lesquels j'ai longuement frayé, autrefois. Je me sentais en terrain connu. Taquineries intempestives incluses.

Il présente généralement un visage en broussailles à cause de l'épaisseur de sa tignasse et d'une barbe assez forte qui encadrent son regard d'un bleu éclatant. De temps à autres, il passe un coup de cisailles dans cet hirsute nous montrant alors une autre facette de sa personnalité. Il est, par ailleurs, la seule personne, à ma connaissance, dont la tête change de volume selon qu'il porte une tuque, ou pas.

J'ai une bonne mémoire, généralement bien au-dessus de celle de la moyenne des gens que je croise. Je constate à son contact qu'elle n'est pas si extraordinaire que cela. Différente de la mienne qui, je le sais, est tout à fait liée à des ressentis émotifs. La sienne est beaucoup plus cartésienne et pratique. Je suis régulièrement abasourdie par ce qu'il réussit à tirer de sa tête juste le temps qu'il faille pour cligner de l’œil.

Il possède la langue française dans la rétine de ses yeux, ne laissant passer aucune coquille, jamais. Ça me complexe à toutes les fois où j'ai à écrire quelque chose qu'il finira par lire, ce qui arrive souvent. Et bien entendu, je découvrirai, éventuellement, ces petites traces d'inattention que je sème aléatoirement dans mes écrits. Il ne me le dira pas, mais je sais qu'il les aura toutes vues.

Il trépigne son impatience comme un cheval sauvage. On peut la sentir monter à force de battements intempestifs sur toutes les surfaces que ses doigts peuvent rencontrer pour l'exprimer. Ce qui implique un jugement hâtif et sans concession sur tout et rien. Et pas grand monde n'échappe au haussement d'épaules caractéristique à l'expression de ce type d'exaspération. Moi la première.

J'ai rapidement découvert que rien ne sert de se justifier dans ce type de situation, il balaiera l'explication du revers de la main. Il est beaucoup plus efficace de changer de sujet et de le surprendre par une affirmation qu'il n'a pas prévue, alors il regardera son correspondant, interloqué pendant que ses méninges travailleront furieusement pour trouver une réponse adéquate à une telle absurdité. Ce qui arrive, généralement.

C'est un être d'une intelligence remarquable. Il fait les bons liens à une vitesse qui me sidère. Je dois admettre cependant, que je suis aussi douée à cet exercice. Ce qui fait en sorte qu'on se pousse continuellement dans les retranchements de la répartie, ce qui nous amuse beaucoup. L'un n'étant jamais autant satisfait que lorsque l'autre admet, en toute candeur, qu'il n'a rien à ajouter.

Je pense que je vais rire énormément dans ce nouvel avenir que j'ai choisi. Rire comme j'avais un peu oublié que je pouvais le faire. Parce que l'humour, en fait, ne se partage jamais aussi bien qu'avec quelqu'un qui comprend au quart de tour les référents desquels on parle, même si celui-ci ne les connaît pas de l'intérieur.

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mercredi, novembre 30, 2016

Cette fleur-là

Je l'avais rencontrée à un fort mauvais moment dans sa vie. Elle frayait dangereusement avec le pays des zombies avec beaucoup d'aplomb, je dois le dire parce que, malgré mon œil aguerri pour déceler ce genre de chose, depuis mon propre passage dans cette contrée glauque, je n'avais pas identifié ce voyage quand pourtant, je la voyais y vagabonder hebdomadairement.

J'étais aveugle à une détresse pourtant visible, parce que je n'avais aucun ancrage auquel me raccrocher. Je trouvais, à l'époque, que c'était une jeune femme un peu négative et très compétitive. Pourtant, j'aimais bien travailler avec elle, parce qu'elle avait un réel souci du service à la clientèle et des présentations bien réalisées. Sa créativité, parfois, me laissait bouche bée. Elle réussissait à habiller un mur, monter une vitrine, dresser une table en y mettant de l'émotion. Je m'étais dit que l'art, se dissimule parfois à des endroits surprenants.

Elle s'était sortie de sa zone d'inconfort, par des moyens que j'ignore, et j'avais vu éclore une fleur. Lentement, comme si elle voulait attraper les rayons de soleil un par un. J'avais constaté, un réel changement, quand après un retour de vacances qu'elle avait passé à voyager, elle s'était montrée soudainement volubile, pas seulement sur ledit voyage, mais sur ses études, sa famille, ses amis, sa vie en somme.

Et puis, sa grande sœur avait eu un enfant. Alors elle s'était intéressée aux livres pour tout petits. Elle aimait montrer à qui voulait bien regarder en sa compagnie, les nouvelles trouvailles qu'elle pouvait faire. Malgré le fait que je ne me sois officiellement occupée du secteur jeunesse que pendant un an, j'ai toujours eu, et cultivé, un faible pour les albums jeunesse. Alors, je prenais plaisir à prendre connaissance de ses découvertes.

Quelques trois ans plus tard, je l'ai rejointe dans la ligue des tantines. Comme je travaillais en étroite collaboration avec elle, et que je savais qu'elle comprendrait ma fascination, presque abrutie, de mon propre neveu, nous avions beaucoup échangé sur la joie que nous apportait ce rôle. On s'extasiait souvent de concert sur des livres qui nous semblaient tout à fait indiqués pour l'un ou l'autre des enfançons qui nous préoccupaient. J'étais Tatie-Mathie et elle était Tata-Lalessa. On se comprenait.

Elle était partie voguer vers d'autres cieux professionnels, une semaine avant moi. J'avais alors eu l'impression que c'était, en quelque sorte, une boucle qui se complétait.

Ça fait au moins deux ans que j'ai envie de faire son portrait, mais quelque chose dans l'essence de son personnage m'échappait. Il m'aura fallut constater que les portraits se dressent sur la substantielle moelle de l'être à force de me heurter à des envies similaires avec une équipe que je ne connais pas encore suffisamment pour en tirer des traits juste assez grossis pour les rendre réels à mes lecteurs. En cherchant un angle pour une autre personne, j'ai revu jaillir la fleur d'un pavé trop usé pour sa jeune vingtaine, alors j'ai compris que je tenais enfin ce sujet.

Parce qu'une fleur faite assez forte pour pousser sur ce genre de terreau, on n'en croise pas tous les jours, il faut donc, à mon sens, les célébrer.

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dimanche, août 21, 2016

L'analyste

C'était par une belle journée de l'automne 1992. Je ramassais mes affaires à la fin d'un cours de français quand une fille dont je n'avais jamais retenu le nom lors des prises de présences vint se planter à côté de la place que je tentais, tant bien que mal de libérer. Elle m'avait lancé : « Je dois manquer les deux prochaines semaines d'école, nous avons deux cours ensemble, sur les quatre auxquels je suis inscrite. Est-ce que tu accepterais de me prêter tes notes de cours ? Et je te le dis tout de suite, ça va arriver souvent au cours de l'automne. » J'avais accepté illico, sans poser aucune question. Elle en était restée sidérée.

Deux semaines plus tard, nous nous étions donné rendez-vous dans un des nombreux locaux étudiants avant le début des cours et elle avait diligemment photocopié mes notes de cours. Je me rappelle avoir beaucoup ri avec elle en lui traduisant certaines de mes abréviations toutes personnelles qui n'avaient de sens que pour moi. Juste avant de nous rendre en classe, elle m'avait dit que j'étais la seule personne à qui elle avait demandé ce service qui lui avait spontanément dit oui, sans lui en demander la raison.

J'étais perplexe. Je ne voyais pas pourquoi refuser ce service, ça ne m'enlevait rien et les raisons de son absence lui appartenaient. Je n'aime pas quand les gens me poussent dans mes retranchements pour avoir mes confidences, alors j'accepte celles que l'on me fait, mais me fait un devoir de ne pas gratter pour les obtenir. Et cette fille était si mince qu'il était possible qu'elle fut malade ce qui aurait pu expliquer ses absences.

Ce n'était pas du tout le cas. Au bout de quelques mois, nos collaborations ayant duré un an et demi, elle m'avait expliqué qu'elle faisait partie de l'équipe canadienne de plongeon et qu'elle quittait régulièrement pour des compétitions à l'international. Elle m'avait invitée à aller la voir s'entraîner un jour. Et j'avais été impressionnée. Par sa prestation, bien sûr, mais aussi par les prouesses que j'avais vues au centre Claude-Robillard. Je ne m'étais jamais intéressée à ce sport avant ce jour, mais depuis je regarde toutes les compétitions auxquelles je peux avoir accès.

J'ai quitté le cégep sans prendre son numéro de téléphone. Ce n'était pas mon amie, simplement une fille à qui j'avais rendu un tout petit service. J'ai cependant continué à la suivre de loin, l'oubliant régulièrement, entre deux prestations.

Elle a gagné une médaille de bronze en 1996, vivant par la suite une tempête médiatique à laquelle elle n'était certainement pas préparée parce qu'elle n'était pas la plongeuse la plus en vue au Canada avant sa médaille. Dans les mois qui ont suivis sont exploit, elle a été jugée et vilipendée. J'étais triste pour elle parce que je me rappelais d'une fille allumée et intelligente et que j'aurais été fort surprise que ces qualités se soient évaporées en quelques années.

Désormais je l'entends aux quatre ans, analyser les prestations des plongeurs actuels. Avec beaucoup de simplicité et aussi un don certain pour faire comprendre aux citoyens lambda les figures qui sont faites par les athlètes. À tout coups, je revois la mince jeune fille qui s'était planté devant moi pour me demander mes notes de cours, avec ses yeux bleus immenses et brillants, sa formidable détermination et son sourire désarmant.

Je me plais, parfois, à penser, que j'ai peut-être un peu aidée, à atteindre les sommets qu'elle visait et qu'elle avait atteint, selon moi.

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jeudi, juin 23, 2016

La porte latérale

Il était rentré dans ma vie par une porte latérale et, comme c'est souvent le cas dans ce genre de circonstances, il est vite apparu que jamais nous ne serions devenus amis si ce n'avait été de cette tierce personne qui nous avait mis en présence l'un de l'autre. Nous étions, et sommes toujours, à des azimuts de distance dans nos personnalités et dans nos intérêts. Mais nous partageons une affection certaine pour deux personnes bien particulières, alors le lien a perduré à travers les années.

Tout jeune déjà, il m'impressionnait beaucoup par l'énergie qui l'animait. À l'époque où j'avais fait sa connaissance, il avait trois emplois simultanés, et j'avais l'impression que c'était davantage par besoin de canaliser toute sa force de vie que par ambition démesurée. Il me semblait qu'il pouvait tout mener de front en même temps sans jamais y perdre de plumes et surtout sans perdre patience ni lever le ton, malgré les déceptions ou les anicroches qu'il pouvait rencontrer. Il n'aimait ni la chicane ni les conflits. J'ai dû être une épine certaine sur sa couenne à de multiples reprises parce que j'ai eu beaucoup de peine, dans les dernières années et plutôt que de pleurer ces dernières, je les métamorphosais en colères sans noms, des explosions pas jolies du tout dont il a été un témoin récalcitrant. Comme tous ceux qui l'ont un jour été, d'ailleurs.

Un jour, il a dû tout arrêter. Lui, l'incarnation vivante du mouvement perpétuel, s'est vu contraint de mesurer chacun de ses gestes à cause d'un accident de la route qui a fortement atteint son dos. À peu près tout ce qu'il faisait auparavant lui était désormais interdit. Beaucoup de gens dans sa situation se seraient prostrés, découragés, enfoncés dans le pays des zombies. Pas lui, à la place il s'est réinventé et est devenu entrepreneur. Rien de moins. Dans un domaine aussi niché qu'improbable, mais qui lui réussit particulièrement bien.

Sous mes yeux ébahis, il est devenu un homme. Pas que je n'y croyais pas, au contraire, sauf que la force de caractère et de créativité dont il a fait preuve pour se redéfinir de A à Z commande le respect. Depuis quelques mois, il est aussi papa. Le papa du plus beau petit garçon du monde selon mon regard absolument partial. Je dois bien avouer que c'est dans ce rôle qu'il me touche le plus. Parce qu'il est un papa impliqué depuis le jour un. Il n'a jamais ménagé les gestes doux et attentionnés, devenant un expert de l'heure du bain comme pour établir déjà un rituel masculin pour contrebalancer les moments entre le poupon et sa maman autour de l'allaitement. Combien de fois je l'ai vu manger avec son enfant sur ses genoux, simplement pour le plaisir? Je soupçonne que la patte branlante du fils vienne directement de ces nombreux repas passé à sautiller, bien accoté sur le ventre paternel.

Aujourd'hui encore, je suis convaincue que jamais je n'aurais fait sa connaissance si ce n'avait été de cette porte latérale ouverte il y a plus de dix ans. Il n'est pas mon ami et ne le sera jamais parce qu'il est mon beau-frère et c'est un titre qu'il ne partage avec personne d'autre.

De toute manière, il est beaucoup trop unique pour être comparé avec qui que ce soit. Sauf, peut-être, avec son garçon.

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mercredi, février 24, 2016

Un bien drôle de vieux monsieur

Je suis bien chanceuse, j'ai une amie qui s'achète plein de billets de spectacles et le deuxième me tombe régulièrement entre les mains, pour mon plus grand plaisir. Ainsi, nous avons découvert, ensemble, que si nous aimons la danse, on se garde une petite gène pour les danses expérimentales qui nous laissent plus perplexes qu'autre chose. Ou encore que nous sommes bien heureuses d'avoir enfin découvert ce qu'était la musique klezmer.

Pour une raison qui m'échappe, nous avons souvent eu des billets à côtés du même couple de vieux Juifs. Je sais qu'ils sont juifs parce que c'est la dame du couple qui me l'a appris, il y a quelques années alors que je l'aidais à s'installer à peu près convenablement sur une chaise beaucoup trop droite et trop peu confortable pour son vieux corps. Son mari, ne m'a jamais adressé la parole et j'ai fini par comprendre que c'est parce qu'il ne parle aucunement le français et que son anglais est tellement teinté d'accent slave que c'est difficile de le comprendre pour quelqu'un qui, comme moi, ne maîtrise pas totalement la langue de Shakespeare.

Quand je suis assise à côté de la dame, ça ne me fait plaisir, elle est agréable et fort cultivée. Elle aime les jeunes (clairement pour elle, je ne suis qu'une petite poulette à peine sortie de l'enfance), mais lorsque je suis à côté de son mari, je me sens un peu moins confortable. D'abord, il est à peu près sourd comme un pot. Alors il ne parle pas, il hurle. Ce qui n'a rien d'agréable. Ensuite, il semble continuellement en colère. Je crois qu'il sort encore parce qu'il se dit que c'est ce qu'il doit faire ou pour faire plaisir à son épouse, mais en tout cas, clairement pas parce qu'il en a envie.

La plupart du temps, il donne des coups de pieds sur mon banc ou celui d'en face et c'est toujours moi qui ai droit aux regards assassins des personnes qu'il bouscule. Ensuite, il marmonne dans sa barbe imaginaire des mots que je ne peux pas comprendre puisqu'ils sont soit en yiddish ou en polonais. Il me donne l'impression. Sa femme ne s'occupe que peu ou pas de ses récriminations, faisant allègrement causette avec le voisinage, distribuant les sourires et les anecdotes de leurs longues vies à tous les deux. Selon ce que je peux en déduire, ils ont bien plus de quatre-vingts ans tous les deux.

Cependant, ce qui m'exaspère le plus, lorsque je voisine ce monsieur, c'est qu'il mange des caramels mous et des chocolats tout le long du spectacle et qu'il s'essuie les doigts sur mon manteau parce qu'il n'a pas de mouchoir sur lui (sauf celui en tissus carrelé dans lequel il se mouche bruyamment périodiquement). Et qu'il fiche tous les emballages de ses bonbons dans mes poches ou mon sac-à-main. Comme s'il voulait être bien certain que je me rappelle de lui.

C'est une drôle de petite peste de nos jours, à l'image de celui qu'il était, peut-être, enfant. Je n'ai aucune idée de son identité, mais je ne serai pas du tout surprise d'apprendre qu'il a un jour été un de ces Juifs de Montréal qui ont façonné la ville, mais dont la plupart de ses concitoyens ont oublié le nom.

En tout cas, puisque je le décris aujourd'hui, je ne l'oublierai pas, malgré le fait que j'ignore tout de son nom.

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samedi, février 13, 2016

Princesse, mon amie

Je l'avais rencontrée un an plus tôt. Mais ça faisait déjà quelques mois que nous entendions parler l'une de l'autre. Son père et moi avions récemment renoué une amitié qui s'était perdue dans le brouillard des communications qui s'étiolent. Par conséquent, elle connaissait mon nom avant de voir mon visage pour la première fois.

Ce soir-là, je n'avais aucune espèce de chance, puisqu'il y avait des enfants ce qui était forcément plus intéressant qu'une madame inconnue. Malgré les efforts que j'avais fait pour faire sa connaissance, elle m'avait superbement ignorée si ce n'était un timide « bonsoir » murmuré de l'arrière des jupes maternelles.

En décembre dernier, cependant, nous étions nettement moins nombreux et les invités étaient exclusivement adultes. Et puis, elle était passé quelquefois à la librairie avec son papa, donc une petite brèche était ouverte.

J'aime les enfants, c'est une vérité de La Palice. Alors si j'ai une occasion, aussi minime soit-elle, de me faire une amie d'un âge préscolaire, c'est clair que je vais sauter dessus. La jeune demoiselle s'était faite belle, pour ce repas d'avant Noël, elle avait un joli papillon dessiné sur le visage et une jupe qui tourne. J'avais illico reconnu la princesse. Je lui avait donc, innocemment, posé la question, à savoir si elle était une princesse. Et elle m'avait répondu : « Ben oui », du ton de l'évidence crasse.

Comme la reine des neige était particulièrement à la mode, j'avais tôt fait de supposer qu'elle était ladite reine de neiges, mais pour la faire marcher, je lui avait demandé si elle était Anna. J'avais alors eu droit à un « Ben non » sur un ton qui laissait croire que j'étais vraiment à côté de la plaque. J'avais joué la surprise : « Ah non? Tu ne veux pas être Anna? Tu préfères être Elsa? Moi je la trouve super Anna, elle est courageuse tout du long... » Et la petite m'avait répondu catégoriquement « Ben non, elle ne fait même pas de magie ». Tout était donc dit.

Mais mon petit plan avait admirablement fonctionné, j'avais montré mes connaissances étendues dans les sujets importants et je pouvais lui parler de toutes sortes d'autres princesses et de livres que je connaissais bien parce que c'est mon métier, entre autres, de connaître les livres pour enfants.

Au souper, la petite m'avait gentiment dressé une place à côté de la sienne (mes ustensiles étaient particulièrement bien cachés dans un morceau d'essuie-tout tout déchiré qui devait, censément, faire office de serviette de table), avec un beau verre en plastique pour boire du lait avec le dessert, avais-je appris.

Le verre de lait avait fini sur mes vêtements, après un éclat de grandiloquence qui manquait peut-être un peu de contrôle dans l'usage des bras.

Arrivée chez-moi je sentais un peu le caillé, mais je trouvais que c'était un bien faible tribut à payer pour m'être fait une nouvelle amie.

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dimanche, janvier 17, 2016

Une femme d'honneur

Je m'étais rendue à son bureau, armée de toute la mauvaise foi dont je suis capable. Ça ne me tentait pas, je n'allais pas l'aimer, nous n'allions pas nous entendre. C'était écrit dans le ciel.

Évidemment, j'ai eu tort. Elle avait je ne sais quoi qui m'avait immédiatement mise en confiance. Malgré le fait que je devais me taper des heures de transport en commun pour m'y rendre, une seule rencontre m'y avait résolue. Elle avait su mettre le doigt sur mes travers professionnels en même pas un mois. Sans m'en accuser, elle me m'avait simplement pointé ce que je faisais qui ne m'aidait pas. Des choix de mots, de phrases qui, l'air de rien, me rendaient vulnérable à la critique collective des employés dont j'avais la charge.

J'ai eu le sentiment d'éclore, sans toutefois réussir à atteindre sa main de fer dans le providentiel gant de velours. Elle avait ce sens de ce qui allait fonctionner ou non, qui me laissait sans voix. Un sens aigu des nuances, aussi. Ce qui n'était pas toujours ma qualité principale, ni à ce moment ni aujourd'hui. Elle avait tôt fait de déceler mon sens de l'exagération et du drame, malgré le fait que je ne sois plus la Drama Queen de mon adolescence.

Après toutes ces années de collaboration, il m'arrive encore de débarquer dans l'encadrement de sa porte, toute en émotions, alors elle lève son regard bleu sur moi tandis que j'y lis une infinie patience et beaucoup d'humanité. Comme pour me laisser le temps de m'apercevoir toute seule que la situation n'est somme toute, pas si grave et que j'ai tout ce qu'il faut pour y remédier par moi, même. Juste en prenant un certain recul. Bien souvent, le simple fait d'exprimer mes doutes et mes angoisses, un peu n'importe comment, me donne l'occasion idéale pour avoir une vue d'ensemble sur ce que je suis en train de vivre.

J'ai trouvé en cette interlocutrice, une personne à l'humour aiguisé et fin. Qui a rapidement décrété qu'elle divisait tout ce que je disais par trois, afin d'avoir une idée plus juste de la situation. Alors, lorsqu'il m'arrive de lui donner du premier coup l'heure juste, sans aucune espèce de fioriture, j'ai appris à appuyer mes dires de chiffres, de tableaux, d'analyses pour contourner le piège que je m'étais tendue sans l'aide de personne. J'ai eu à me rendre à l'évidence que de travailler sur nos menus défauts nous amène beaucoup plus régulièrement qu'on veut bien l'admettre, à se dépasser.

Je crois que la plus grande leçon que j'aurai apprise à ses côtés c'est qu'il est toujours préférable de mettre de côté les jugements fabriqués d'avance, de parer la réflexion de nuances et surtout de ne pas agir sur des coups de têtes. Ce qui, dans mon cas, est tout un défi.

C'est une femme généreuse qui laisse les gens déployer leurs ailes et grandir sans jamais en prendre ombrage et qui possède une acuité indéniable dans sa perception des gens.

C'est une femme d'honneur, en vérité.

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mercredi, janvier 06, 2016

Un certain port de tête

Lorsqu'elle a fait son entrée dans ma vie, je revenais de vacances. Comme cela m'arrive bien souvent à ces moments précis, je me sentais complètement débordée, en retard sur tout. Cette sensation était accentuée par le fait que cette jeune personne faisait son entrée dans notre équipe de gestion et que, bien normalement, elle ne savait pas encore faire les tâches qui lui étaient dévolues et que le reste de l'équipe devait prendre une partie de la formation en charge, en fonction de nos aptitudes naturelles.

C'était une personne réservée, timide même. Mon bulldozer naturel était au antipodes de sa personnalité. Je craignais un peu de l'écraser sans trop m'en apercevoir, après tout, cela m'était souvent arrivé par le passé. Quelques fois, par ailleurs, ces personnalités cachent une force aussi tranquille que profonde, ce qui est son cas.

J'avais tôt fait de remarquer qu'elle avait ce port de tête particulier des filles qui ont fait de la danse classique assez longtemps pour que pour que les mouvements naturels les plus minimes en gardent une certaine rémanence. Un jour qu'elle portait une toque, je lui avais demandé si j'avais vu juste et je crois bien que ce fut ma première incartade dans sa muraille toute personnelle.

Avec le temps, elle s'est avérée un formidable public à mes niaiseries. Le nombre de fois où je me suis suis affalée sur la chaise devant son bureau en lui annonçant que j'avais une sottise à dire et qu'elle se soit mise à rire avant même que j'ai pu débuter mon histoire est trop grand pour que j'ai pu en faire le compte. Ces petits riens du quotidien d'un gestionnaire en commerce de détails dont il faut rire si on ne veut pas en pleurer. Ma façon de contourner les difficultés, les rationaliser pour ne pas me laisser happer par elles.

Au printemps dernier, elle nous annoncé qu'elle était enceinte. J'étais ravie. Je l'ai déjà dit dans ces pages, j'ai pensé longtemps que j'aurais une panoplie d'enfants. Ça ne m'est pas arrivé alors j'ai pris un plaisir immense à suivre la grossesse de cette collègue, au quotidien. Si j ne lui ai pas posé cent questions sur le développement de son enfant, je ne lui en ai posé aucune. Je devais même en être tannante par moments. En tout cas, elle savait que je m'y intéressais.

Elle a traversé tout le mois de décembre, et sa folie furieuse, sans se plaindre une seule fois. Elle m'a même solidement aidée en formant des employés quand je n'avais plus le temps de le faire, et même avant que j'en sois rendue-là. Malgré la lourdeur de sa silhouette, ses membres ankylosés, elle est venue travailler tous les jours, en souriant. Je ne l'en ai admiré que davantage.

Mais voilà que le temps file à une vitesse retentissante et que son congé de maternité débutera vendredi. Elle me manquera; qui est-ce que je pourrai désormais appeler « grosse madame » en étant certaine de la faire rire? Personne, c'est certain.

Mais je penserai à elle souvent, à elle et à cet enfant à naître qui, je l'espère me sera présenté plus tôt que tard pour qu'en 2016 je puisse catiner deux fois plus qu'en 2015.

Non, je ne serai pas mère, mais il est clair et limpide que je serai toujours maternelle.

Bonne chance mon amie, dans ta nouvelle vie.

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mercredi, juin 24, 2015

Hello Kitty

Je me rappelle encore la première fois où je l'ai vue. Assisse bien droite dans mon bureau, pour une entrevue d'embauche. Elle devait porter du rose, c'est comme rien, il y a toujours, ou presque, une touche de rose dans ses tenues, ou ses vernis. Comme n'importe qui dans sa situation,elle était visiblement nerveuse et parlait fort, et vite. J'ai appris, par la suite, qu'elle parle toujours fort et vite, en fait, elle parle tout le temps.

Elle ne marche pas, elle conquiert le monde qui s'ouvre sous ses pas. C'est rapide, pressé et bruyant, même si elle portes des souliers à semelles molles, ce qui n'est pas si souvent le cas. Parfois, j'ai presque l'impression qu'elle arrivera a faire vibrer le sol de la librairie à force de marcher du talon. Les seules fois où je l'ai vue ralentir le rythme, c'était en servant une personne âgée ou à mobilité réduite. À la regarder aller, on pourrait croire qu'elle est toujours pressée.

C'est une personne menue, tout à fait féminine. Sa peau dore au moindre rayon de soleil ce qui lui donne un air très sain. Elle cultive sa bonne humeur comme d'autres leur mauvaise foi. Quels que soient les coups que la vie lui portera. Elle choisira de se concentrer sur l'ironie d'une situation plutôt que sur ce qui pourrait l'attrister ou la choquer. Elle aime son chat, c'est indéniable. Tellement que j'ai vu des photos dudit chat bien avant de voir des photos de l'amoureux. Alors, pour la taquiner, je lui disais qu'elle avait un chum imaginaire. Cette blague aura duré plus de deux ans, parce que j'affirmais, même après avoir vu des images, qu'elle se l'était certainement inventé. Ça la faisait rire et elle a mis un point d'honneur à me le présenter en personne. Je crois que j'ai été la première de ses patronnes à qui elle a dit que cette histoire s'était terminée, parce qu'à force de niaiser sur le sujet, on avait développé une certaine forme de confiance.

C'est une personne sociable, qui aime les gens. Et les discussions. Sur tout et sur rien. Elle se passionne pour les vernis à ongle et était particulièrement heureuse de s'être trouvé un calendrier de l'avant derrière les portes duquel il n'y avait que des flacons colorés. Elle aime le rose et avoue sans vergogne un penchant certain pour Hello Kitty, malgré le fait qu'elle ai passé le cap de la vingtaine. Il a de ces penchants comme ça qui ne nous quittent jamais, j'ai Corey Hart, je lui laisse Hello Kitty.

Elle adore mes expressions colorées et se fait un plaisir de me les faire répéter lorsqu'elle en entend une pour la première fois. Ces expressions, je les travaille depuis des années, quelquefois elles sont de mon cru, la plupart du temps, je les ai piquées à d'autres et adaptées à mon vocabulaire. Je l'ai d'ailleurs surprise à utiliser certaines de celles-ci sans trop s'en apercevoir, comme quoi on est toujours la pique-assiette de quelqu'un autre, en matière d'expressions.

Hier, elle est venue nous dire qu'elle quittait la librairie pour un travail dans son domaine d'études. Elle était à la fois triste et heureuse de nous présenter sa lettre. Nous aussi d'ailleurs (la direction). Tristes de ne plus avoir cette jeune femme pétillante dans notre équipe, mais heureuses pour elle.

C'était la toute première personne que j'ai embauché à cette succursale, ça me fait drôle de la voir partir. Comme si un peu de moi partait avec elle...

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jeudi, avril 30, 2015

Ma Bronzée

Elle déambule dans l'existence avec cette démarche chaloupée des êtres qui sont nés dans un hémisphère ensoleillé. Il y a, dans le mouvement, quelque chose qui laisse entrevoir un plaisir certain à danser, à s'ancrer dans le rythme les pieds solidement accrochés au sol tandis que les bras se mouvraient selon leur propres aspirations.

C'est une jeune femme qui aime s'amuser et dont le rire peut fuser à tout moment. Je crois que je ne l'ai jamais vue de mauvaise humeur depuis les quelques trois ans que je la connais. Même assommée par un rhume qui aura duré presque tout un hiver rigoureux, elle su préserver cette joie de vivre qui lui est propre.

C'est une personne généreuse qui s'intéresse à ceux qui vivent autour d'elle. L'air de rien. Je sais qu'elle fait partie de ceux qui sont plus que généralement appréciés. Elle a plusieurs réseaux qu'elle entretient assidûment. Les seules fois où elle pense à demander un congé, c'est toujours pour profiter de la présence de ces autres qu'elle aime tant. À son anniversaire, elle travaille toujours; « car, m'expliquera-t-elle, c'est une manière bien agréable de passer le temps ».

Elle est créative et curieuse. Elle aime les mots, ceux des autres, et ses intérêts littéraires vont dans toutes les directions. Je l'ai vue lire un roman d'horreur tout de suite avant de se plonger dans un livre à l'eau de rose, petit pêché que nous partageons avec beaucoup de plaisir.

Un jour que j'étais en visite dans une autre succursale, je l'ai attrapée au téléphone après un long moment sans l'avoir vue. Alors je m'étais exclamée : « Oh! Ma Bronzée, ça fait si longtemps que je ne t'ai pas vue! » Et la femme, à côté de moi avait vécu un vrai gros malaise de savoir que ce n'était pas une employée qui revenait d'un voyage dans le Sud, mais bien une Noire, rien que bien noire. C'est une caractéristique physique, sa peau est nettement plus foncée que la mienne, et si je vois cette différence, ça je change absolument rien à l'estime que j'ai d'elle. Elle le sait et apprécie tous les surnoms que je lui sers, parce qu'elle comprend très bien qu'ils proviennent d'une certaine forme d'affection.

Elle possède ce charme lent des gens de son pays d'origine. Dans une société où les minutes sont comptées, il faut souvent lui rappeler la pertinence de respecter un horaire. Même lorsqu'il est question d'activité sociale, il n'est pas rare qu'elle se mette en mouvement tellement à la dernière minute qu'elle sera soit irrémédiablement en retard, d'une heure ou deux généralement, ou carrément absente parce qu'elle aura tout simplement manqué l'à propos.

Il y a un proverbe qui dit qu'en Haïti, il n'y a que le citron qui est pressé. Et lorsque je la regarde aller, je ne peux m'empêcher de croire que celui-ci lui va comme un gant.

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dimanche, avril 26, 2015

Le baron

Dans sa toute petite enfance, il m'appelait Matime. Durant cette période de sa vie, il ne parlait pas beaucoup. Il ne disait que quelques mots qui lui permettait d'obtenir ce qu'il voulait, mais ne se souciait pas de communiquer davantage. Enfin, c'est ce que je je croyais du haut de ma propre enfance. Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne comprenait pas ce qui se passait autour de lui. Au contraire; il adorait les histoires. C'était le genre d'enfant qui écoutait en boucle les mêmes histoires sur disques et qui riait toujours, à gorge déployée, aux bons endroits.

Il dessinait aussi, beaucoup, avec un talent incontestable. Cependant, ses planches à dessins étaient parfois un peu particulières : un divan et beaucoup d'albums de Tintin ont été améliorés par ses soins. Je crois que c'était vraiment ce qu'il cherchait à faire d'ailleurs, il ne lui passait sans doute pas par l'esprit que ses envolées créatrices pouvaient abîmer quoi que ce soit.

C'était un enfant qui avait le chic d'avoir une vie intérieure très vaste, à laquelle peu d'entre-nous avaient accès. Ce qui expliquait sans doute son manque de communication avec le monde extérieur. Jusqu'au jour où il a décidé qu'il pouvait s'adresser aux autres avec des phrases complètes, ce qu'il a évidemment fait à la perfection, quand il s'y est mis. Je disais qu'il parlait comme un dictionnaire. Pour moi, et je me trompe sans doute, il s'est mis à parler en même temps qu'il a su lire et il construisait des phrases à l'oral comme celles que l'on trouve d'ordinaire à l'écrit. Et il écrivait déjà sans fautes, dans un français beaucoup plus châtié que le mien, comme si toutes les règles complexes de cette langue lui étaient tombées dessus à bras raccourcis. Je lui ai toujours envié ce talent.

Il me faisait penser au Baron de Munchausen, incarné au cinéma par John Neville. Il me le rappelle encore souvent d'ailleurs, parce qu'il a toujours le chic de s'émerveiller sur toutes sortes de sujets. Il a aussi ce talent pour partager ses intérêts à coup d'exclamations grandiloquentes. Et surtout cette générosité envers ceux qu'il aime.

Aujourd'hui c'est un homme bon, qui ne dit jamais rien de mesquin sur qui que ce soit. C'est un homme qui aime rire et qui se passionne encore pour un tas de sujets jusqu'à l'exagération à certains moments. Mais ça, c'est un trait de famille parce que je suis aussi, sinon pire, que lui en ce domaine. Il ne demande jamais rien à personne, surtout pas de faveurs. Et on oublie souvent que ce n'est pas parce qu'il ne demande pas qu'il n'aime pas recevoir.

Il y a quelques jours, cet homme que j'aime beaucoup et qui est mon frère, a eu quarante ans. Il n'est certes plus l'enfant avec lequel j'ai grandi, mais il a gardé de cette époque les très belles qualités de cœur qui font de lui un homme comme il s'en fait peu.

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jeudi, avril 16, 2015

La Louve

Je ne la connais pas beaucoup. Mais j'ai passé quelques années à la voir un peu plus que ces temps derniers, dirons-nous.

Lors de notre toute première rencontre, j'ai eu le sentiment de me rencontrer moi-même, quelques années plus loin.

Même ton tranchant, même caractère bouillant. Même volonté de remplir les mandats qui nous sont confiés. Un petit quelque chose dans le soucis de certains détails qui laissent plein d'espace à la négligence de beaucoup d'autres, qu'on ne voit tout simplement pas. Un amour forcené de la langue française, un sens de l'humour tranchant. Une tendance certaine à suivre nos coups de cœur jusqu'au bout des sentiers qu'ils nous permettront d'explorer, quitte à laisser une part de nous-mêmes accrochés aux branchages que nous aurions croisés.

Ce que j'ai compris de cette femme, c'est qu'elle est particulièrement fidèle à ses valeurs et à son intégrité, ne se laissant pas démonter par des offres qui sont en deça de ses exigences toutes personnelles. Elle m'apparaît fidèle à un groupe trié sur le volet, des gens qui auront réussi à atteindre cette parcelle d'humanité que ceux qu'elle appelle ses proches auront dû conquérir.

Sa plus grand fierté, je crois, est sa descendance. Deux garçons, aussi différents que faire se peut, selon ses termes à elle. Je ne les ai jamais vus autrement qu'en photo, et, bien entendu, je peux corroborer la différence de l'apparence physique. Cependant, pour ce qui est du caractère, je dois me fier aux paroles de mon amie.

Et lorsqu'elle est devenue grand-maman, presque sous mes yeux, j'ai cru qu'elle allait exploser de bonheur. Elle dit à qui veut l'entendre, qu'elle a les plus beaux petits enfants du monde. Ou du moins, du Québec. Je dois admettre qu'ils sont vraiment beaux, objectivement. Sauf que je la soupçonne d'avoir, à leur endroit, un parti pris tout familial. Et totalement compréhensible. C'est l'inverse qui ne le serait pas.

Pour ma part, une des choses que j'apprécie le plus d'elle, c'est tous les mots d'encouragement qu'elle m'a fait parvenir, depuis que je la connais pour que je continue à écrire, même lorsque j'avais arrêté, et aussi le regard féministe, acéré et articulé, qu'elle porte sur le monde qui l'entoure.

On ne se voit pas souvent, on ne se parle pas beaucoup non plus, mais je sais qu'il y a cette femme qui laisse parfois ses yeux traîner sur mes écrits et qui finira par me les relancer pour que je n'oublie plus ma nature.

C'est une louve farouche et fière. Et moi, je suis très heureuse d'être son amie.

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mardi, mars 17, 2015

Cousine

Elle me connaît depuis avant ma naissance. Pas tant avant, mais les quelques six mois d'âge qui nous séparent font en sorte qu'elle a dû entendre parler de moi avant que j'entende parler d'elle. Je n'ai aucun souvenir de ma propre existence où elle n'a pas été mon amie. En fait, elle a sans doute été ma toute première amie.

Nous avons passé une enfance à se voir régulièrement. Dormant l'une chez l'autre, de temps à autres. J'ai des mémoires de très petite enfance, quand ma chambre était à l'étage et le salon au rez-de-chaussée, avec son mur en miroirs très années soixante, devant lequel on s'installait, à l'heure des poules (traduire avant que mes parents ne soient levés pour nous faire à déjeuner), pour parler à nos doubles dans lesdits miroirs. Nos amies imaginaires avaient des visages; les nôtres.

Nous avons traversé ensemble, à quelque distance, quartiers et écoles différentes obligent, les années de l'adolescence. En étant totalement différentes, mais en s'aimant beaucoup. Notre plus grand point d'ancrage est sans doute un amour inconsidéré pour Corey Hart. Les adolescentes émoustillées que nous étions sont restées sensibles à son charme et à tout ce qu'il a, un jour, représenté pour nous. Nous avons dépensé une petite fortune pour le voir une dernière fois en spectacle, et c'est une des plus belles soirées de mon année 2014.

C'est une optimiste maniant un humour fin qui me fait encore beaucoup rire aujourd'hui De nous deux, elle est incontestablement la plus sage, la plus réaliste, la plus posée surtout. Ne s'emportant que très rarement. Lorsque ça arrive, évidemment, c'est tout un orage qui gronde. Elle m'est toujours apparue comme celle qui faisait les bons choix. Mais, comme tout le monde, elle a eu son lot de heurts et de mésaventures de toutes sortes. Nous ne sommes plus aussi proches que nous l'avons été. Par contre, comme nous partageons un certain lien de sang par nos mères, peu de choses nous échappent. On ne s'en parle pas nécessairement, mais on sait que l'autre sait.

Comme dans bien des relations qui s'étendent sur plusieurs décennies, les ponts se sont un peu distendus, sauf qu'à chaque fois qu'on se voit, les discussions repartent là où on les avaient laissées lors de notre précédente rencontre et s'envolent sans effort, dans toutes les directions où on voudra bien les diriger.

Dans les dernières années, elle a vécu sont lot de soubresauts et de sauts. Des choses qui m'arracheraient le cœur et me laisseraient démunie devant la vie. Elle, elle fait face, vaillamment. C'est une femme de courage et de force. Une femme que j'admire énormément.

Ce soir, elle a demandé, publiquement, une dose de pensées positives.

Alors j'ai fait la seule chose que je sache faire, écrire.

Pour toi, ma cousine, mon amie, mon intime, je t'aime.

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mercredi, février 25, 2015

Mademoiselle Seize-ans-à-peine

Le problème avec les écrivaines compulsives de mon acabit, c'est qu'on garde tout ce que l'on a un jour écrit, à condition que ce soit possible. J'ai perdu tous mes cahiers verts (sortes de journaux intimes sans verrous dans lesquels j'accumulais les feuilles mobiles, remplis de grand n'importe quoi) à la suite d'une inondation de sous-sol. Alors, si par inadvertance, vous me renvoyez à une date très précise de mon passé, il est fort probable que celui-ci soit documenté, par mes soins.

Cette semaine, j'ai reçu un message de Mademoiselle Seize-ans-à-peine, qui les as depuis longtemps dépassés. Je l'appelais ainsi dans le message que je lui avais écrit pour son anniversaire. Petit mot doux, plein d'amour pour une amie qui m'étais très chère. Et tant qu'à revisiter mon adolescence, aussi bien le faire à la lumière de mes impressions d'ado. J'ai encore, tous mes journaux intimes. Et je viens de les relire. Donc Mlle Seize-ans, a retrouvé un truc que je lui ai offert pour son anniversaire, dans lequel j'avais mis une dédicace, qu'elle a photographiée pour me la faire parvenir.

J'ai été touchée. Qu'elle ait conservé cela, d'une part, et de ma généreuse naïveté, d'autre part. Bien entendu, j'ai des souvenirs, mais on s'entend, la mémoire est faillible. Alors relire mes mots, mes émotions, la personne éminemment pétillante que j'étais, ça me remet au diapason de mon propre chemin de vie.

Je ne me souviens plus très exactement de quelle manière j'ai rencontré cette fille. Mes journaux sont de pauvres sources, en ce domaine. Elle y apparaît, un moment donné en 1988 comme faisant partie de ma vie. Ce que je sais, par contre, c'est que le premier jour de mon secondaire cinq, elle était à mes côtés pour aller à l'école : ma première journée dans ce nouvel environnement, parce que j'avais été renvoyée de l'école privée que je fréquentais auparavant, pour cause de maths en déficience.

C'était une fille relaxe. Contrairement à mes amies de l'autre école, elle n'était pas première de classe à tout prix. Si par hasard, elle obtenait de bonnes notes, elle les gardait pour elle. Ce n'était pas l'important. Ce qui comptait, à ses yeux, c'était le cœur. Et du cœur, elle n'en a jamais manqué; il était tatoué sur ses mains. Bien évidemment, si vous me m'offriez un cœur et une oreille à cette époque de ma vie, j'étais intarissable. Pauvre Mlle Seize-ans, elle a été le déversoir de beaucoup trop de choses pour une seule âme. Mes excès l'amusaient et la laissaient rêveuse, je crois.

On s'est perdues de vues lorsque je suis partie étudier à Sherbrooke, mais je crois que c'est la dernière personne de cette époque que j'ai vue, de temps à autres, après mon départ. Aujourd'hui, elle ne reste plus à Montréal, mais elle me lit. Je le sais parce qu'elle me dit de ne jamais cesser d'écrire. Elle qui était-là au tout début de mes balbutiements sur ce thème et qui peut en mesurer l'évolution. Elle dont l'existence se situe quelque part au nord de la mienne, mais qui prend encore le temps de se pencher sur mes mots, pour les parcourir et les commenter.

Pendant de longues années, j'ai eu le sentiment que les seuls souvenirs que je laissais derrière moi étaient ceux de mes manquements ou de mes erreurs. À trop vouloir me protéger des déceptions que je pourrais avoir causées, je m'emmurais dans la fuite vers l'avant.

Depuis octobre, je permets au passé de revenir à moi, et franchement, j'y ai vécu les plus beaux instants des dernières années.

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dimanche, février 22, 2015

Petite Marie

Mon premier boulot était dans un club vidéo. C'était à l'époque où ces endroits étaient au centre de la vie de quartier : l'offre télé était relativement limitée et internet n'existait pas vraiment. Les gens louaient des films pour passer le temps. Certaines familles réservaient des nouveautés à chaque semaine, dont celle de Petite Marie, que j'appelais ainsi à cause de la chanson de Cabrel et du fait que c'était une toute jeune adolescente qui n'avait pas encore atteint sa pleine hauteur.

Encore aujourd'hui, je me demande pourquoi elle a tant voulu être mon amie. Ce qu'elle a pu passer comme temps, au club vidéo pour attirer l'attention des grandes qui y travaillaient. La mienne en premier lieu. C'était une personne à l'esprit rationnel, douée pour les chiffres et les sciences, très cartésienne, comme toute sa famille, du reste. Elle portait une joie de vivre qui résonnait dans son rire. Moi j'étais au sommet de ma carrière de Reine du drame, vivant mes émotions en montagnes russes. Je n'étais certainement pas terre-à-terre, en tout cas. Petite Marie a persévéré à vouloir être mon amie, et réussi. Je ne pense pas que j'ai mis une once de condescendance la laisser entrer dans ma vie, malgré le fait que j'avais trois ans de plus qu'elle, et qu'à cet âge, ça paraît.

C'était une personne généreuse. Immensément. Être mon amie n'était, semblerait-il, pas suffisant. Il fallait qu'elle partage avec moi toute sa famille. Je les avais apprivoisés et eux m'avaient adoptée. Je connais ma chance, je sais bien que peu de gens peuvent se targuer d'une telle situation, et c'est à Petite Marie que je le dois.

Nous avons passé ensemble à travers des années charnières de l'adolescence. Il lui arrivait de trouver que j'étais un peu trop expressive, particulièrement dans des assemblées publiques. Mais, parce que c'était moi, elle faisait avec, même si sa personnalité était moins, disons, versée dans les excès qui me caractérisaient. Elle était la personne qui me ramenait régulièrement sur le plancher des vaches, à coups de points de vue pragmatiques.

Je suis partie étudier à Sherbrooke, ne revenant à Montréal qu'assez rarement, au fil du temps. Elle est allée étudier à Trois-Rivières et le temps à fait son œuvre, nous éloignant l'une de l'autre. Une amitié qui s'étiole jusqu'à ne plus exister, par manque de contacts.

Et puis, les réseaux sociaux sont arrivés. Et on s'est retrouvées, sans se revoir. En sachant qu'il y avait quelque chose de très fort et de très précieux dans notre passé commun. Puis, ce garçon-là et moi on s'est revus. C'est son frère. Vendredi soir, il a fait un spectacle, que je n'aurais manqué sous aucun prétexte. Lorsqu'elle est arrivée, j'ai eu droit à un espèce de serre-fort qui décoiffe, mais qui fait tellement de bien. Nous avons savouré la performance, magnifique, de ce garçon-là. À un moment donnée, happée par la musique et la prestance de son frère, des larmes d'émotions se sont mise à ruisseler sur les joues de Petite Marie. J'ai sorti mes mouchoirs et elle m'a serré le bras très fort, comme pour se raccrocher à un ancrage nécessaire dans ce flot de trop plein. Moi j'ai eu l'impression que j'étais une femme comme il s'en fait peu et j'ai pris toutes les décharges d'amour qu'elle m'a partagé.

Je l'avais appelée Petite Marie parce que je l'ai connue lorsqu'elle n'était qu'une toute jeune adolescente, mais il y a bien longtemps qu'elle est plus grande que moi.

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