jeudi, mars 08, 2007

La tentation de Sarah

Ça avait été le plus bel été de sa vie. Pourtant Sarah y était allée à reculons. Elle n'avait plus envie de passer ses étés en colonies de vacances, mais comme sa mère lui avait très justement fait remarquer, un été en apprenti-monitrice lui donnerait une première expérience de travail, ce qui serait utile pour la suite des choses. Elle avait donc choisi une colonie où elle n'était jamais allée auparavant. Écoeurée qu'elle était de tous les étiquettes qui lui collaient à la peau. Plus envie de se faire cataloguer comme fille terne et pas dans le vent. Encore moins envie de revoir toutes ces filles qui lui avaient mené la vie dure du haut de leur grande popularité. Alors elle s'était exilée dans une base de plein air pour toute la famille, quelque part loin au nord de Montréal, sans possibilité de revenir chez-elle avant la fin des vacances.

Elles étaient deux apprenties-monitrices pour quatre apprentis-moniteurs. Deux filles aussi dissemblables que possible. Stéphanie, la dégourdie, fonceuse, confiante et aventureuse et la très ordinaire Sarah. Le soir, autour des feux de camps, lorsque les campeurs dormaient sagement sous leur tentes, Stéphanie entreprenait toujours de faire du charme aux gars, se lançant à leur tête sans gêne. Et au matin, elle racontait ses exploits à sa condisciple mal à l'aise. Sarah l'écoutait en essayant tant bien que mal de ne pas se faire d'images mentales trop persistantes des ébats que lui narrait son amie, en doutant toutefois un peu de l'exactitude de ce qui lui était rapporté. Pour la première fois de sa vie, Sarah constatait qu'elle plaisait beaucoup au garçons de son entourage. Combien de fois lui avait-on proposé une promenade sous l'oeil discret des arbres environnants? Elle avait parfois l'impression d'être le centre réel de l'attention masculine, mais se gardait bien de livrer ses impressions à Stéphanie.

Malgré tout, Sarah ne s'intéressait pas aux apprentis-moniteurs. Son coeur à elle avait fait des cabrioles en descendant de l'autobus, avant même d'arriver sur le site du camp. Là sur le quai de la gare, un grand jeune homme attendait les apprentis-moniteur. Il avait des cheveux en bataille et un sourire en coin. Il s'appelait Jacques, mais pour les campeurs c'était Trac. Pour tout le monde en fait. Puisque comme il le disait en riant, Jacques était un prénom beaucoup trop sérieux pour lui. Sarah s'était accrochée à son sourire au premier regard. Elle en rêvait la nuit. S'inventant des histoires romantiques dans des circonstances plus abracadabrantes les unes que les autres. Il avait vingt-et-un ans. Elle savait bien que ses dix-sept ans ne pesaient pas lourd dans la balance face aux monitrices plus âgées qu'elle. Alors Sarah vivait de ses chimères. Lunatique toujours, mais heureuse d'être amoureuse.

C'était son secret. Elle se surveillait de près afin d'éviter que Stéphanie, surtout, de découvre quoique ce soit. Sarah avait le sentiment que Stéphanie sauterait sur l'occasion de draguer Trac si elle s'apercevait que le coeur de Sarah était accroché au sourire de celui-ci. Pour rêver en paix, Sarah allait seule le soir sur la jetée, avant l'heure du feu de camp. Et dans le creux de son coeur, elle donnait de nouveaux surnoms, affectueux à ce moniteur qu'elle trouvait si parfait. À cet homme qui pour elle, représentait la plus grande tentation. Ainsi de Trac elle était passé à Titi puis à « Rrrrrrrrro Minet » par association d'idées. Lorsque vint le temps pour tout le monde de retourner chez soi, Sarah avait réussi à obtenir, innocemment, le numéro de téléphone de Trac.

Toujours accrochée, complètement mordue en réalité, elle avait compté les jours avant de l'appeler. Ils s'étaient vus, au début, au milieu de tous les autres et tranquillement seul à seule. L'été allait prendre son envol et ils retourneraient tous les deux à la colonie de vacances comme moniteurs. De l'ancienne équipe, il ne restait presque personne. Et un soir qu'ils étaient seuls Trac et elle à préparer les activités de l'été Trac lui avait demandé : « M'as-tu appelé Gros Minet? » Elle ne s'en était pas aperçue. C'était sorti tout seul. La démasquant par le fait même. Et devant le sourcil interrogateur qu'il levait pour elle, Sarah n'avait rien su faire d'autre que de rougir, un peu.

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2 Commentaires:

Blogger Lew s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Mais, mais... c'est trop TROGNON !!! *yeux pleins de coeur* C'est comme, mignon à l'extrême! Rôôôôôôô Minet! ^w^

6:21 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Malgré la légèreté du propos, c'est un texte très profond... on se croirait presque au coin du feu avec eux. Et puis, il laisse beaucoup de place pour la suite...

10:52 a.m.  

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