mercredi, mars 21, 2007

Les chaînes du passé

Tu me disais que je t'abandonnais. Avec cette moue que je ne connaissais que trop bien. Cette petite bouille toute chiffonnée que j'avais vu un million de fois au moins. Tu me disais que jamais tu ne m'aurais fait ce coup-là, que je descendais bien bas pour en arriver là. Et moi, je me tordais le coeur sous les assauts de la culpabilité galopante que cultivais comme d'autres entretiennent un jardin. Tu me disais que je n'avais pas le droit, après tout ce que tu avais fait pour moi, te te laisser sur le carreau de ma vie. Tu me disais que personne ne m'aimerait comme tu m'aimais.

Tu me disais que tu me connaissais par coeur. Que tu appréciais de moi ce que la plupart des autres me reprochaient. Tu me disais que je te faisais mal. Je n'avais pas besoin d'entendre ces mots pour voir le désastre que je provoquais. Je n'avais pas besoin des accusations pour sentir que j'érodais le monde dans lequel tu vivais. J'avais une conscience aiguë de la hauteur de ma trahison. Je n'avais même pas d'autre raison à t'offrir que ce besoin irrépressible d'aller voir le monde. D'aller explorer par moi-même le bout d'univers qui m'était imparti. Tu me disais que tu ne comprenais pas. Que tu ne pouvais pas avoir été à ce point mauvais ou lacunaire pour des ailes me poussent à voler vers d'autres cieux.

J'aurais voulu sublimer la détresse de tes prunelle. Faire taire la plaine lancinante que je lisais dans ton désarrois. T'expliquer, dans des mots que tu comprendrais avec tes tripes, tes sens, ton être tout entier, pas uniquement avec ces mots vides de sens que tu ne pouvais qu'intectualiser, que mon départ n'était pas contre toi. J'aurais voulu que cesse la pression immense sur mon coeur, cette responsabilité accrue, avec laquelle je ne savais pas du tout composer. Parce que la déchirure que je sentais poindre sur ton être était pire que tout. J'ai tenté de te dire, tenté de trouver les verbes qui conjugueraient adéquatement mes états d'âme. Et après presque quatorze ans, je n'arrive à rien d'autre qu'à constater l'échec de mes fêles tentatives pour te préserver du gouffre que j'ai fait éclore sous tes pas. Et pourtant, ce n'était tellement pas une dans une volonté de t'atteindre ni de te blesser. Ce n'était qu'un élan complètement égoïste qui me poussais ailleurs. Sans regard à nos malentendus. Sans regard à nos prises de bec.

J'aurais préféré que tu comprennes que mon départ n'était pas un geste de renoncement ni l'annulation de l'amour. Ce n'était que le désir de liberté, après tout légitime, qui me poussait vers des cieux différents. Après tout, je n'étais alors qu'une toute jeune personne que je n'arrivais à qualifier ni d'adolescente, ni de femme.

Je ne vivais, au fond, que l'essor de l'enfant devenue adulte cherchant à se défaire du noeud familial. Et toutes les années écoulées depuis m'auront appris que mes espoirs de liberté seront toujours entravés par les chaînes de ce passé qui marque la césure entre l'enfant que je fus et la femme que je suis devenue.

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4 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Bonjour,
c'est un texte magnifique, au départ, on pense qu'il s'agit d'un amoureux, puis peu à peu, et aussi avec le titre qu'on veut et va relire, on sent émerger les liens parentaux.
Je viens souvent lire tes mots, sans laisser de commentaire, ça mérite un merci au passage.
à très vite
Nicolas

3:19 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Même après avoir lu et relu... même après avoir compris, refusé et accepté, je ne puis m'empêcher d'y voir l'autre côté de la médaille. Merci.

10:01 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Nicolas : Merci.

C'était volontaire ce jeu sur les perceptions.

Le parent dont il est question ici n'aime certainement pas de la bonne manière la fille qui veut partir. C'est un peu ce que je voulais démontrer.

Alex : Tu te mets vraiment à la place du parent qui se sent abandonné parce que son enfant part de la résidence familiale?

On ne fait pas des enfants pour avoir de la compagnie. Du moins, on ne devrait pas.

9:25 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Très beau texte, Mamathilde !

1:42 p.m.  

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