lundi, mars 26, 2007

Les nouveaux voisins

J'avais quatre ans. Mon amie des deux dernières années avait quitté la maison qui jouxtait la nôtre depuis quelques jours, mais ça me paraissait une éternité. Je savais, puisqu'on me l'avait expliqué, qu'il s'agissait d'un déménagement tout bête, mais à cette époque, pour moi, c'était beaucoup plus que cela : c'était un bouleversement de mon environnement. Il n'y avait pas de clôture entre les cours, seulement deux ou trois bouquets de cèdre qui délimitaient les territoires. J'avais déjà l'habitude de passer d'un endroit à l'autre, en traversant des frontières imaginaires. L'ensemble formait déjà mon territoire. Ma mère m'avait dit que ce serait sans doute différent avec les nouveaux voisins. Que l'autre maison n'était pas la mienne et que je ne pourrais pas nécessairement continuer à y entrer comme bon me semblerait.

Par un beau matin ensoleillé, une voiture s'est stationnée derrière un gros camion. Moi je faisais semblant de m'affairer devant la maison. Je crois que j'étais très préoccupée par l'état de santé d'une de mes poupées. Aussi subtilement qu'une fillette de quatre ans puisse le faire, j'ai observé l'arrivée des nouveaux habitants de la maisons verte. Tout d'abord, un grand monsieur, fier et digne a émergé du véhicule. Puis une toute petite femme, au sourire rassurant en est sortie à son tour et enfin un cortège de fillettes. Trois, pour être précise. Dont une qui avait l'air d'avoir mon âge. J'étais sauvée : le hasard avait troqué une amie pour une amie. Je n'ai pas douté un seul instant de l'issue de cette rencontre. Forcément, si la fillette avait mon âge, elle serait mon amie. J'ai donc vaillamment traversé la pelouse et je suis allée me présentée. Pour me faire rabrouer rapidement par le grand monsieur. Ce n'était pas méchant, simplement un peu sec, parce que les filles avaient à transporter encore quelques affaires dans la maison, après quoi, seulement, elles pourraient jouer.

J'ai vite compris que ma mère avait eu raison, mon terrain de jeu s'est mis à rapetisser comme une peau de chagrin. De notre côté de la haie, les jouets jonchaient le sol comme des feuilles à l'automne. La piscine que nous possédions attirait une ribambelle de bambins de tous âges, le gazon tournait à la terre un peu partout. De l'autre côté, c'était un jardin luxuriant, une belle balançoire toisait le terrain tandis que des fleurs et un plan d'eau avaient allègrement poussé. L'homme, prenait un soin jaloux de son terrain, sur lequel nous avions le droit de jouer, mais plus calmement que de notre côté de la haie. On le voyait tout le temps à bichonner sa verdure, à rendre service à tous ceux qui le demandaient. C'était un homme du dehors, que l'hiver ne freinait pas. Il aidait à déneiger les entrées et nous permettait de nous créer de formidables forteresses dans les bancs de neige savamment disposés dans des endroits stratégiques pour qu'ils ne soient pas ramassés par la voirie lors du déneigement. Je me rappelle l'avoir vu courir à ma rencontre après une de mes chutes à bicyclette, lorsque, trop hardie, je m'étais lancée sans mes petites roues sur la chaussée encore mouillée par les pluies printanières. Dans son regard inquiet, je voyais bien que ma santé lui importait.

J'ai quitté le domicile familial il y a près de quinze ans. Je n'ai pas revu ce voisin depuis ce temps. Sinon, une ou deux fois, par hasard, devant sa maison lorsque j'allais visiter mes parents. Quoiqu'il en soit, le souvenir tenace de l'homme bon qui avait aménagé avec toute sa famille à côté de chez-moi a perduré à travers le temps. J'ai su mercredi dernier qu'il était décédé. Je suis allée au Salon funéraire avec ma mère et ma soeur, pour les filles. Elles étaient heureuses de me voir, malgré le temps et le silence. Dans la bière ouverte, j'ai vu le visage serein d'un homme qui avait bien vécu. Il était identique à mon souvenir et lorsque je me suis approchée, j'ai cru le voir sourire.

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2 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Dans cette recherche du temps (perdu), j'ai souri à la préoccupation de la santé d'une des poupées.
Nicolas Sanaa

6:48 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Nicolas : J'avais quatre ans et je voulais me donner un air occupé...

9:29 a.m.  

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