mardi, novembre 11, 2014

Ce garçon-là

Sur la table de bois, devant moi, il y avait ces mains d'artiste parées d'éclats argentés dont je ne gardais aucun souvenir. Je ne me rappelais pas non plus sa voix qui porte un drôle de timbre, vers laquelle mes oreilles se sont tout de suite tendues, dans une espèce de quête de réconfort. Je me souvenais très bien de ses yeux par contre. Moi qui ai toujours eu le chic de ne pas savoir la couleur des yeux de mes correspondants. Comment aurais-je pu avoir oublié un noir d'encre qui m'a toujours attiré vers la profondeur des confidences? En cinq minutes, il a été évident que je le connais encore par cœur. Malgré la distance établie par plus de vingt ans d'absence.

Je suis arrivée avant lui et lorsqu'il a poussé la porte, même si la pénombre me masquait ses traits, j'ai tout de suite su que ce ne pouvait être que lui; un grand mince, un peu tout croche dans la posture, un peu tout gauche dans le charme qu'il n'a jamais su posséder. Il s'est assis devant moi et nous avons eu trois heures de discussions honnêtes et vraies. Sans fla-fla ni faux semblants.

J'ai écrit, il y a plusieurs années, qu'au moment où j'ai fait sa connaissance, j'étais à peu près la seule fille, de notre année scolaire, à qui il parlait. Ce genre de souvenir d'adolescence a l'ancrage solide. Parce que c'était vrai, il l'a admis dans toute sa déconcertante simplicité. Il m'a tissé un tapis de fleurs au sujet de ma toute personnelle importance dans ses peines de cœur qu'il ne racontait à personne d'autre que moi. Il se rappelait chaque nom. Moi qui me targue d'avoir une bonne mémoire, il y avait belle lurette que je les avais oubliés.

Il m'a parlé de sa famille, celle que je connais et celle que je rencontrerai peut-être, un jour. La famille que je connais, m'avait, autrefois, complètement apprivoisée. À moins que ce ne soit l'inverse.

Il m'a parlé de sa musique, celle qu'il habite de mots et de sons. Il a déposé toute sa sensibilité devant mes yeux comme l'adolescent que j'avais connu avait l'art de le faire. Un peu comme si entre hier et aujourd'hui, il n'y avait eu qu'un battement de cœur. On s'est vautrés dans l'admiration de mon Artiste actuel, en se disant qu'il fallait qu'on aille le voir, ensemble.

La dernière fois que je l'avais vu, je n'étais pas encore tout à fait une femme et lui pas encore tout à fait un homme. On en avait l'âge légal et certains attributs, cependant il nous manquait ce petit quelque chose de l'amertume pour être vraiment adultes. La dernière fois, il avait encore les joues douces des garçons qui ne se rasent pas tous les jours. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, mes joues sont encore piquetées du rétif de sa barbe drue. Quand on s'est quittés en se promettant de remettre ça, parce que, franchement, des amitiés comme celle-là ne courent pas les rues, il a fait un geste comme pour me serrer dans ses bras. Mais il s'est retenu. Se souvenant sans doute que je suis une experte du « i » des accolades malvenues.

Sauf que je suis grande maintenant, et je pense que ça ne me dérangerais pas du tout que ce ténébreux-là me fasse un gros, gros, gros serre-fort.

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4 Commentaires:

Anonymous Alex s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je ne suis ni grand, ni ténébreux... mais je te fais une grosse colle :) C'est bon de te lire à nouveau :)

12:53 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Non, t'es pas particulièrement grand, ni ténébreux, mais tu es mon ami. Même si avec toi aussi, j'ai laissé le silence éteindre les rencontres. Et de savoir que tu me lis, toi qui a toujours cru si fort en ce talent duquel j'ai trop souvent douté, c'est comme un un édredon dans lequel on se love par une nuit froide de l'automne qui s'amène. :)

7:53 p.m.  
Blogger Unknown s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Cette fille là qui revit,ma Mathilde

5:18 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Oui, elle revit et elle en est tout à fait contente. J'ai recommencé à penser en mode littéraire (c'est-à-dire que j'écris dans mes pensées). Bizarre sans doute pour plusieurs, mais pour moi, c'est salutaire, je crois. :)

7:34 p.m.  

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