Compter pour des prunes
Il y a quelques années,
j'ai découvert que j'ai vécu de l'intimidation à l'école primaire
et secondaire. J'ai écouté un documentaire à ce sujet et j'ai revu
passer une bonne partie de mon enfance. Il va sans dire que j'ai
braillé ma vie sur celles des enfants que je voyais à l'écran. Ça
été un choc.
Il y
a une différence entre être rejetée par un groupe et se savoir
intimidée.
On ne se voit
généralement pas comme les autres nous voient. En tout cas, pour ma
part, ça a toujours été vrai. J'étais une enfant rêveuse et
dramatique. Un tantinet excessive, dirons-nous. Je m'inventais toute
sortes d'histoires pour rendre ma vie plus intéressante que ce
qu'elle était. Être collectivement rejetée par mes collègues de
classe n'était probablement pas facile pour la personne pétillante
que j'étais. J'ai donc beaucoup menti. Enfin, je m'explique cela,
aujourd'hui, de cette manière. À l'époque, je dirais que je
cherchais surtout à me prouver ma propre importance.
J'avais développé
toutes sortes de stratégies pour faire avec. Je le sais désormais.
J'ai cultivé beaucoup d'amitiés avec des gens plus jeunes que moi,
parce que dans l'école où j'allais, il n'y avait qu'un groupe de
gens de mon âge. Alors forcément, si j'y étais rejetée, il
fallait bien que je me créée une appartenance ailleurs. À ce
sujet, je n'ai pas vraiment changé, la plupart de mes amis sont plus
jeunes que moi. Il faut croire que ce genre d'habitude est tenace.
Peut-être aussi que j'ai encore peur des gens de mon âge, sans le
savoir vraiment. Qui sait?
Mais surtout, j'avais la
chance de vivre ces choses graves à une époque où internet et les
téléphones intelligents (vraiment?) n'existaient pas encore. Alors,
je pouvais avoir un autre espace de vie où personne ne savait que
j'étais la tête de turc de ma classe. C'était une autre de mes
stratégies. Les enfants de ma rue ignoraient que j'étais le
« rejet ». Et ça me servait bien de ne pas leur avouer.
Parce que je gardais l'espace que je m'étais créé dans mon
voisinage. Celui-ci a d'ailleurs été fertile en relations longues
et tangibles. Des gens qui m'ont connue sans quolibets et m'ont
appréciée ainsi.
J'ai d'ailleurs, trouvé
le moyen d'avoir le dernier mot sur mes tortionnaires, à la toute
dernière journée de mon passage dans cette école. Je me souviens
de leur avoir dit que leur rejet collectif comptait pour des prunes
parce qu'au fond c'était moi qui choisissais de ne pas suivre leurs
diktats. Je garde un souvenir très clair de leurs visages ahuris.
Ils m'ont tous écrit qu'ils voulaient être mes amis, maintenant
qu'ils voyaient quel type de personne j'étais.
Aucun ne l'est.
Mon choix.
Mais je crois que j'ai
tiré profit de cette expérience. À coup de naïveté,
certainement. N'empêche que, ça fait très longtemps que je sais
que je ne peux pas plaire à tout le monde, que j'ai une personnalité
forte qui dérange. Un jour, je me suis aperçue que la plupart des
gens qui m'invectivent et ne m'aiment vraiment pas, ne connaissent de
moi que le premier abord.
Depuis, je me dis que les
seuls rapports humains qu'il vaille la peine que je cultive sont avec
ceux qui se donnent la peine d'aller plus loin que la première
impression. Je pense que j'ai un talent certain pour me faire aimer
et apprécier dans ces occasions.
Et que je le rends bien.
Libellés : Digressions
Beaucoup de souffrance dans ce texte. Une belle maturité aussi. Tous les chemins mènent à soî.
La souffrance n'est plus vraiment. Je ne nierai pas que j'ai souffert, mais si je le raconte aujourd'hui, c'est parce que ça ne fait plus mal. Cependant, ça fait partie de mon histoire toute personnelle, et le nier, serait redonner de l'importance à ceux qui, autrefois, n'étaient pas très gentils à mon endroit.