Pas perdus
J'ai toujours adoré le
terme salle des pas-perdus.
Et ce que cela désigne me laissait pantoise. Une telle poésie pour
une forme de salle d'attente, a quelque chose de trop pragmatique.
Pourtant, lorsqu'on connaît la racine historique de l'appellation,
même les âmes romantiques comme la mienne doivent se rendre à
l'évidence de l'évidence, justement (pour les curieux, ces salles
d'attentes sont ainsi désignées à la suite de troubles politiques,
en France, au dix-neuvième siècle). Les seules salles de ce type
que j'aie fréquentées sont celles de Montréal. Au Palais de
justice, pour avoir été assignée à potentiellement faire partie
d'un jury, mon nom n'ayant jamais été appelé, j'ai simplement (et
ironiquement) perdu quelques heures à attendre que le temps passe.
Celle de la gare Windsor, par contre, je l'ai traversée maintes
fois, sans savoir que j'y mettais les pieds.
Depuis
quelques semaines, j'ai décidé de marcher davantage. Pour moi.
Alors l'expression me trotte dans la tête, forcément. Forcément
parce que je me suis aperçue que je compte mes pas, inconsciemment
de temps à autres. Et que, le fait de marcher deux stations de métro
plus loin que mon lieu de départ, me fait faire beaucoup plus
d'enjambées que ce que j'aurais fait, autrement. Je ne le fais pas
tous les jours, la froideur des dernières semaines m'ayant
quelquefois replongée dans la fréquentation des autobus. Histoire
de ne pas mourir gelée par la bise de face.
Et
puis, comme je l'ai raconté, il y a quelques semaines, je vis juste
en dessous de l'appartement d'un couple, qui, sonorement, bat de
l'aile. On entend leurs pas pesants nous tomber sur la tête, presque
quotidiennement. Un troupeau d'éléphants qui se masse au dessus de
de nos têtes. Des éléphants en talons-hauts, semble-il, parce que
ça claque dans tous les sens et à tout moment. Ce déchaînement
bruyant me fait encore davantage apprécié la discrétion naturelle
de la personne avec laquelle j'habite depuis plusieurs années. Il
est vrai que j'entends régulièrement le son de ses pantoufles à
semelles rigides chez-nous, mais c'est un pas posé qui ne cherche
pas à se faire remarquer.
En
réalité, à cause des températures invraisemblables des semaines
qui viennent de s'écouler, j'ai parfois l'impression de vivre avec
une souris. Parce que pantoufles ou pas, les planchers de notre
logement sont frisquets, pour dire le moins. Alors quand j'entends
des pas précipités aller du salon à la salle de bains à toute
vitesse, j'ai comme une image de souriceau frigorifié qui tente de
ne pas se faire prendre en faisant des cliquetis sur les parquets
usés.
Je présume que je dois
donner la même impression car je sais très bien que je me presse
aussi lorsque que vient le temps d'affronter les corridors qui me
mèneront du points A au point B.
Moi qui me targue depuis
longtemps d'avoir la faculté du mouvement silencieux, faut croire
que lorsque la température frise l'indécence, je ne suis pas
meilleure qu'une autre pour me faire discrète...
Libellés : Digressions