En transparence
- Je déteste quand tu
fais ça.
- Quand je fais quoi?
- Quand tu me regardes
par en dessous l'air de dire que tu me vois me mentir en pleine
face.
Je la regardais se
débattre avec ses idées emmêlées depuis presque une heure. Petit
poisson tout perdu dans son adolescence en ébullition. Tout en
faisant semblant de pas vraiment y porter attention. C'était mon
truc avec elle. Nous n'avions que quatre ans de différence, mais il
me semblait qu'entre ses 17 ans et mes 21 ans, il y avait un monde de
différence. Je n'avais sans doute pas tout à fait tort, pas tout à
fait raison non plus, je crois.
On s'était rencontré
l'année précédente. Quand elle avait emménagé chez sa
grand-mère, ma propriétaire et voisine du dessous. Alex n'avait pas
souhaité suivre ni son père ni sa mère après leur séparation,
elle voulait terminer son école secondaire là où elle l'avait
commencé. Alors elle était venue vivre ici. Et quand Mamie n'était
pas là à son retour de l'école, souvent, Alex venait gratter à ma
porte, pour ne pas être trop seule.
La plupart du temps, elle
faisait ses devoirs, jasait des heures au téléphone, tout en menant
une vie sur sa tablette informatique. Elle n'était somme toute pas
très dérangeante et me laissait faire mes travaux universitaires
dans un paix relative, si ce n'était des éclats de rire qui
jalonnait ses parcours dans mon domicile. Elle était une lumière
dans mes journées un peu mornes, moi qui avais toujours été un
ours pas trop sociable. Et particulièrement terre-à-terre.
Certains jours,
cependant, elle me parlait. Elle me racontait ses histoires de cœur.
L'ouvrant devant moi comme un présent offert. Me laissant un peu
désemparé devant une candeur que je savais ne pas posséder. Elle
avait une imagination vive et spontanée. Tout pour elle était sujet
à rêveries. Elle se frappait régulièrement sur les murs du réel
qui la laissait en petits morceaux d'elle-même et à tous les coups,
elle se relevait, tête haute, en m'affirmant qu'on ne l'y
reprendrait plus, jusqu'au prochain écueil.
Lorsqu'elle m'accusait de
trop de perspicacité, comme elle venait de le faire, je savais que
quoique je dise ou fasse, mes réponses ne seraient pas les bonnes.
Alors je la laissait aller. En espérant, vainement, les trois quart
du temps, que cela ne suffirait pas à lui faire descendre les
escaliers à toute vitesse pour se réfugier au rez-de-chaussée.
Elle était effectivement
partie, mais juste avant de fermer la porte elle m'avait demandé :
- Pourquoi ce ne sont pas les gars simples comme toi, gentils comme toi qui m'intéressent dis-moi?
Et j'avais pensé que
j'aurais bien aimer lui donner une réponse un peu moins plate que
les gars comme moi, les filles ne les voient juste pas.
Libellés : Sur la frontière du réel