mercredi, janvier 28, 2015

Le voisin

Sous la lumière blafarde des gyrophares, Marine se rappelait un été longtemps révolu. Elle devait avoir six ou sept ans lorsque son petit cœur débordant l'avait poussée à écrire une lettre à Mathieu. Il était son voisin immédiat. Pas tout à fait, en réalité. Elle restait au premier étage d'un duplex lumineux, tandis que Mathieu vivait dans un cottage, étrangement dissonant dans cet rue montréalaise. Marine pouvait l'apercevoir s'amuser dans la cours, étonnamment vaste pour le quartier. Assez en tout cas pour recevoir une piscine hors terre, qui faisait l'envie du voisinage. Marine n'y faisait pas exception.

Comme tous les enfants du secteur, elle et sa sœur aînée, zieutaient le point d'eau alléchant, durant les jours de canicules, sachant pertinemment qu'elles n'avaient que peut de chance d'y avoir accès. Faute de mieux, et parce que le propriétaire de leur appartement, dorlotait régulièrement son jardin, elles courraient sous les larmes de l’arrosoir en riant en perdre haleine. Pour une raison qui n'appartenait qu'à elle seule, pourtant, Marine faisait une fixation sur Mathieu. À ses yeux d'enfant, il était tellement extraordinaire seulement parce qu'il était un peu plus vieux, et drôle.

Un jour, elle lui avait écrit une carte d'anniversaire dans laquelle, ajoutant aux vœux usuels, elle lui avait déclaré un amour infini. Elle avait signé : « ta voisine anonime ». Son anonymat n'avait jamais été bien grand. Elle avait passé les années subséquentes à subir les quolibets de tout en chacun, particulièrement ceux de Mathieu et de ses amis. Aux yeux de Marine, cependant, le voisin avait perdu de sa superbe. Il s'était enfoncé dans toutes sortes d'excès, le faisant vieillir avant l'âge et surtout, il avait perdu de son mordant dans l'humour. Comme si quelque chose en lui s'était éteint.

Les années avaient passées, les petites blagues du voisinage sur l'amour fou que Marine portait à Mathieu avaient continué, mais elle ne se sentait plus engluée dans celles-ci. Elle savait bien que cela n'avait plus aucune espèce d'importance dans la vie réelle. Mathieu avait fini par quitter le domicile familial. Et bien sûr, à toutes les fois où leur chemins se croisaient, il lui rappelait la carte.

Avec le temps, Marine s'était prise à penser que Mathieu n'était pas un gentil garçon. Pas vraiment méchant non plus, simplement un peu trop égoïste, ne s'intéressant aux autres que pour ce que ces autres pouvaient lui apporter, comme si toute forme d'échange devait avoir des retombées mesurables. Il n'était jamais si fier que lorsqu'il avait la possibilité d'étaler quelque chose de rutilant sur la place publique. Snobant au passage tout ceux qui ne réussissaient pas comme il le faisait.

C'était sans doute pourquoi les souvenirs affluaient sous les gyrophares dans une nuit trop froide de janvier. Depuis quelques mois, Mathieu venait faire un tour dans le petit boui-boui que possédait Marine, en lui offrant protection contre espèces sonnantes et trébuchantes. Il s'installait au comptoir, comme s'il était le propriétaire et racontait à qui voulait l'entendre que Marine avait été sa première blonde.

Au bout de plusieurs semaines de ce manège, Marine en avait eu marre et avait appelé les policiers. Ils étaient venus le cueillir pour racket. Un tout petit criminel, même pas associé à un groupe plus puissant, qui ne savait rien faire, vraiment, de sa vie.

Et qui avait eu l'inélégance d'harceler la toute première fille qui lui avait dit qu'elle l'aimait.

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2 Commentaires:

Blogger Unknown s'est arrêté(e) pour réfléchir...

J'aime. Quelle belle histoire à raconter pour une Mathilde romantique

6:44 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

J'avais loupé ton commentaire. Merci. Le plus étrange, c'est que la conclusion s'est avérée vraie, dans une des deux histoires que j'ai mêlées sans le savoir. Après l'écriture de ce texte. Je ne sais pas ce qui me sidère le plus : mon intuition, ou la vie, plus banalement...

10:45 p.m.  

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