Le voisin
Sous la lumière blafarde
des gyrophares, Marine se rappelait un été longtemps révolu. Elle
devait avoir six ou sept ans lorsque son petit cœur débordant
l'avait poussée à écrire une lettre à Mathieu. Il était son
voisin immédiat. Pas tout à fait, en réalité. Elle restait au
premier étage d'un duplex lumineux, tandis que Mathieu vivait dans
un cottage, étrangement dissonant dans cet rue montréalaise. Marine
pouvait l'apercevoir s'amuser dans la cours, étonnamment vaste pour
le quartier. Assez en tout cas pour recevoir une piscine hors terre,
qui faisait l'envie du voisinage. Marine n'y faisait pas exception.
Comme tous les enfants du
secteur, elle et sa sœur aînée, zieutaient le point d'eau
alléchant, durant les jours de canicules, sachant pertinemment
qu'elles n'avaient que peut de chance d'y avoir accès. Faute de
mieux, et parce que le propriétaire de leur appartement, dorlotait
régulièrement son jardin, elles courraient sous les larmes de
l’arrosoir en riant en perdre haleine. Pour une raison qui
n'appartenait qu'à elle seule, pourtant, Marine faisait une fixation
sur Mathieu. À ses yeux d'enfant, il était tellement extraordinaire
seulement parce qu'il était un peu plus vieux, et drôle.
Un jour, elle lui avait
écrit une carte d'anniversaire dans laquelle, ajoutant aux vœux
usuels, elle lui avait déclaré un amour infini. Elle avait signé :
« ta voisine anonime ». Son anonymat n'avait jamais été
bien grand. Elle avait passé les années subséquentes à subir les
quolibets de tout en chacun, particulièrement ceux de Mathieu et de
ses amis. Aux yeux de Marine, cependant, le voisin avait perdu de sa
superbe. Il s'était enfoncé dans toutes sortes d'excès, le faisant
vieillir avant l'âge et surtout, il avait perdu de son mordant dans
l'humour. Comme si quelque chose en lui s'était éteint.
Les années avaient
passées, les petites blagues du voisinage sur l'amour fou que Marine
portait à Mathieu avaient continué, mais elle ne se sentait plus
engluée dans celles-ci. Elle savait bien que cela n'avait plus
aucune espèce d'importance dans la vie réelle. Mathieu avait fini
par quitter le domicile familial. Et bien sûr, à toutes les fois où
leur chemins se croisaient, il lui rappelait la carte.
Avec le temps, Marine
s'était prise à penser que Mathieu n'était pas un gentil garçon.
Pas vraiment méchant non plus, simplement un peu trop égoïste, ne
s'intéressant aux autres que pour ce que ces autres pouvaient lui
apporter, comme si toute forme d'échange devait avoir des retombées
mesurables. Il n'était jamais si fier que lorsqu'il avait la
possibilité d'étaler quelque chose de rutilant sur la place
publique. Snobant au passage tout ceux qui ne réussissaient pas
comme il le faisait.
C'était sans doute
pourquoi les souvenirs affluaient sous les gyrophares dans une nuit
trop froide de janvier. Depuis quelques mois, Mathieu venait faire un
tour dans le petit boui-boui que possédait Marine, en lui offrant
protection contre espèces sonnantes et trébuchantes. Il
s'installait au comptoir, comme s'il était le propriétaire et
racontait à qui voulait l'entendre que Marine avait été sa
première blonde.
Au bout de plusieurs
semaines de ce manège, Marine en avait eu marre et avait appelé les
policiers. Ils étaient venus le cueillir pour racket. Un tout petit
criminel, même pas associé à un groupe plus puissant, qui ne
savait rien faire, vraiment, de sa vie.
Et qui avait eu
l'inélégance d'harceler la toute première fille qui lui avait dit
qu'elle l'aimait.
Libellés : Sur la frontière du réel
J'aime. Quelle belle histoire à raconter pour une Mathilde romantique
J'avais loupé ton commentaire. Merci. Le plus étrange, c'est que la conclusion s'est avérée vraie, dans une des deux histoires que j'ai mêlées sans le savoir. Après l'écriture de ce texte. Je ne sais pas ce qui me sidère le plus : mon intuition, ou la vie, plus banalement...