Vie de quartier
Cher marginal
montréalais,
Je n'ai rien contre toi,
en fait, je crois être plutôt compatissante à ton égard et je
donne les quelques sous que je peux, à tous les ans, à des
organismes qui sont-là pour t'aider. Mais vois-tu, tu es nombreux
dans le quartier où je vis. Alors je ne peux pas te fournir argent
et cigarette à toutes les mains que tu tends vers moi. Je voudrais
bien t'aider davantage, mes poches ne sont pas assez profondes pour
cela.
Ce qui me hérisse un
tantinet cependant, c'est que la tolérance se joue dans les deux
sens. Je suis un peu tannée de me faire enguirlander, presque
quotidiennement, par toi. Si tu t'approches de moi dans un wagon de
métro, ou sur un quai, en me demandant de l'argent, je te dirai non.
En essayant de le faire gentiment et poliment. Svp, ne me hurle pas
après que je suis une grosse torche. Ce n'est pas très sympathique.
Le résultat est que je me souviendrai de ton visage et que la
prochaine fois que je te croiserai, je ferai un détour, le plus loin
possible de toi. À ce moment, tu auras raison de trouver que je
t'ostracise. Peut-être ne te rappelleras-tu pas de m'avoir un jour
insultée, moi si.
Si tu t'assoies à côté
de moi, dans un transport en commun, et que schlingues au possible,
il est rare que je me déplace. Par respect pour ta condition. Mais
si tu t'allumes une cigarette dans le métro bondé de l'heure de
pointe ou que tu te mets à m'invectiver parce que je ne te donnes
pas le contenu de mon sac à lunch, là, je changerai de place et mes
commentaires ne seront probablement pas très gentils.
Je ne peux pas dire que
je comprends ta condition. Je ne la vis pas. Je sais par contre ce
que c'est que de ne pas être bien dans sa tête. Je sais comment on
peut ressentir le regard d'autrui sur soi, et je sais à quel point
c'est douloureux.
Non, je n'achète pas
tous les numéros de l'itinéraire. Je n'en achète même pas très
souvent. Mais lorsqu'un sujet me plaît dans ce journal, à ce
moment-là, je l'achète. J'aime ce projet parce qu'il peut t'aider,
je crois.
La plupart du temps, je
n'ai pas peur de toi. Mais je ne suis pas surhumaine, il y a de fois,
où j'ai une grosse frousse en te côtoyant. Je sais bien que ton
attitude n'est pas nécessairement dirigée directement contre moi,
sauf que lorsque je suis le déversoir de tes frustrations du jour,
il est probable que tu m'effraies. Je ne suis pas armée pour
t'aider. Je ne suis qu'une femme, parmi tant d'autres, qui fréquente
les mêmes lieux que toi.
Et si tu tiens la porte
au métro Berri entre le terminus de bus et le métro à proprement
parler, je ne serai jamais celle qui met des sous dans ta tasse; tu
te multiplies beaucoup trop à cet endroit très précis.
La seule chose que je
puisse faire, c'est de te regarder, dans les yeux, et de te souhaiter
une bonne journée.
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Ben moi, ils me font carrément peur quand ils deviennt agressifs