Miss Sushis
La porte s'était
doucement fermée derrière elle. Trop doucement. Il y avait quelque
chose dans le geste et dans la non participation aux discussions
précédentes qui me questionnait.
J'avais, alors,
simplement demandé : « Toi, ça va? »
Elle avait pris son temps
avant de rétorquer, avec les larmes dans la voix et un peu d'océan
dans le regard : « Non. Non, en fait ça ne va pas du
tout. »
Parce que je suis ce que
je suis et que je savais que je l'avais dernièrement un peu
bousculée avec mes opinions tranchantes, je lui avais demandé si
c'était à cause de moi ou pour une autre raison. Elle m'avait
répondu que je n'avais rien à voir avec ses états d'âme et
j'avais changé de sujet.
Je suis faite sur ce
modèle-là. Je vous dirai que je note le malaise. Je vous ferai
savoir que mes antennes sont à l'affût. Mais si vous ne m'ouvrez
pas la porte, je ne la pousserai pas. Personnellement, je déteste
qu'on me questionne sur mes émotions quand je ne suis pas rendue à
en parler. Je me sens violée quand on me pousse à dire quelque
chose que je ne suis pas prête à partager. Lorsque j'affirme que je
ne veux pas traiter d'un sujet, ça veut dire exactement ce que je
dis. Ce n'est, en aucun cas, une invite à écaler mes gales. Quand
je serai prête à partager mon intimité, quelle que soit sa
profondeur, je le ferai de mon propre gré, auprès de ceux qui ne
m'auront pas acculée.
Un peu plus tard dans le
mois, elle m'a appelée au travail, sachant que la librairie est une
source fiable pour des boîtes en carton de bonne qualité, afin de
me demander s'il y avait une possibilité qu'elle vienne en piquer un
certain nombre. Je n'avais même pas reconnu sa voix au téléphone,
et pourtant, nous savons toutes les deux qu'on s'est souvent
entretenues par ce truchement. Mais il arrive que les fêlures
finissent par prendre le pas sur le timbre et que l'identification
formelle devienne nécessaire.
Je ne la connais pas
beaucoup, malgré le fait que nos itinéraires se croisent
régulièrement. Nos relations se limitant d'ordinaire à beaucoup
d'humour à travers lequel je lui dit qu'elle est une BD ambulante
parce qu'elle a ce chic de mimer des situations avec énormément d'à
propos et de justesse toutes sortes d'événements et qu'à chaque
fois, j'ai l'impression de voir vivre devant moi des cases en 3D. Et
lorsque je lui passe le commentaire, je la sens toujours très
flattée de cet avis, même si ce n'est pas toujours l'effet
recherché.
Ça a pris un temps
certain avant qu'on ne se revoit. J'ai senti le besoin de lui
expliquer mon modèle d'empathie, un peu anxieuse de ne peut-être
pas avoir réussi à faire savoir que j'étais vraiment là pour
elle, si elle le voulait.
Elle m'a spontanément
prise par dans ses bras en m'affirmant que j'avais eu la meilleure
réaction du monde le jour où elle avait trop doucement fermé la
porte dernière elle, son plateau de sushis dans les mains.
Depuis ce temps, je
l'appelle Miss Sushis, parce que j'ai évidemment tout mêlé.
Mais lorsqu'elle débarque et que je l'interpelle ainsi, je vois une éclaircie
s'allumer dans son regard et je me dis que j'ai, sur ce coup,
vraiment bien débaptisé.
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