Saoul... ou pire
La mini van ne payait pas
de mine et les ados qui en sortaient encore moins. Je ne sais pas
trop pourquoi mon regard s'est arrêté sur ces détails. Sans doute
parce qu'ils étaient dans mon chemin, bloquant le bout de trottoir
qui aurait pu me mener sans encombre à une succursale de la SAQ. Ils
étaient jeunes, et avaient l'air hagard de ceux qui ont passé la
nuit ailleurs que dans un lit. En les regardant descendre et prendre
tout l'espace disponible devant moi, j'ai eu un malaise. J'avais
l'impression que les six jeunes personnes qui descendaient de la
voiture revenaient de l'enfer.
J'ai traversé la
barrière invisible, complété mes achats et suis ressortie dans un
nuage opaque de pot, si mon odorat ne se (me?) trompait pas. Il ne
m'était plus possible d'avancer. Le trottoir était irrémédiablement
confisqué. J'ai donc retraité d'un pas, restant collée sur la
porte du commerce que je quittais pour ne pas me mêler de ce qui ne
me regardait pas.
J'ai donc eu quelques
secondes pour les observer davantage. Il était évident qu'ils
avaient tous passé la nuit sur la corde-à-linge. Dans leurs yeux,
je ne percevaient que du vide. Leurs discours étaient
majoritairement en français, entremêlés d'anglais et d'une autre
langue que je n'arrivais pas à discerner. Ils étaient tous blancs,
sauf un, un très beau noir, mais ce n'était pas du créole haïtien
qui agrémentait leurs propos, parce que celui-là, j'aurais pu le
reconnaître. Ils me semblaient tous, blessés par la vie. Perclus
devant les sentiers à venir. Plus vieux que moi dans l'expérience,
quoique j'ai quelque chose comme vingt années de plus qu'eux dans ma
besace.
Le chauffeur est sorti de
la voiture et leur a hurlé quelques paroles blessantes pour qu'ils
se dispersent. Ce qu'ils firent promptement. Il avait à peu près
mon âge, bedonnant, tatoué et bien mis. Les ados se sont dispersés
sans mot dire, avec dans le fond de l’œil, affolement d'un oiseau
blessé et cette autre chose que je n'arrivais pas définir.
Quelques heures plus
tard, je revenais chez-moi sur les rails de la ligne verte.
Bizarrement, ma route à croisé celle de deux des ados que j'avais
vu plus tôt. L'un d'entre eux s'est affalé devant moi, s'endormant
illico. Son ami, faisait le tour des passagers pour obtenir une
certaine obole dans le wagon. Le dormeur, avait le cou tatoué. Il
était inscrit « I'm drunk, or worst ». Et ça m'a fait
mal. Parce que je ne le connais pas mais il me semble que même les
plus téméraires ne se feraient pas tatouer ce genre de phrase à un
endroit aussi visible, de leur plein gré. Surtout quand ça reflète
la réalité.
Je suis sortie du wagon,
les laissant à leur triste sort. Je ne le ai pas offert un sou. Pas
tant parce que je ne le pouvais pas que parce que je ne veux pas
participer à leur déchéance.
Mais ce soir, toute seule
dans mon salon, je me demande si j'ai pris la bonne décision.
Libellés : Vie en communauté
Trite ce genre de situation, on aimerait mieux pas voir cette triste vie..
Effectivement, je comprends ton questionnement prce qu'il est difficile de les juger.
Texte très touchant et parsemé d'un regard très doux et humain.
Maman : oui hein, c'est triste... Et douloureux, d'une certaine manière.
Anonyme : Merci bien! Puis-je savoir à qui aie-je l'honneur?